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À ces mots, M. de La Seiglière tressaillit et se tourna vers elle d’un air effaré.

— Avez-vous lu un livre qui s’appelle le Code ? demanda tranquillement Mme  de Vaubert.

— Jamais, répondit le marquis avec orgueil.

— Je l’ai parcouru ce matin à votre intention. Hier encore, je n’étais pas plus avancée que vous ; pour vous, je me suis faite clerc de procureur. C’est un livre d’un style assez sec, très goûté d’ailleurs lorsqu’il consacre nos droits, mais peu estimé quand il contrarie nos prétentions. Je doute, par exemple, que vous en aimiez beaucoup le chapitre des donations entre vifs. Lisez-le cependant, je le recommande à vos méditations.

— Madame la baronne, s’écria M. de La Seiglière en se levant avec un léger mouvement d’impatience, me direz-vous ce que tout cela signifie ?

— Monsieur le marquis, répondit Mme  de Vaubert en se levant de son côté avec la gravité d’un docteur, cela signifie que toute donation à titre gratuit est révoquée de plein droit pour cause de survenance d’enfant légitime, même posthume, du donateur ; cela signifie que Jean Stamply, du vivant de son fils, n’aurait pu disposer en votre faveur que de la moitié de ses biens, et que, n’ayant disposé du tout que dans l’hypothèse que son fils était mort, ces dispositions se trouvent anéanties ; enfin cela signifie que vous n’êtes plus chez vous, que Bernard va vous faire assigner en restitution de titres, et qu’au premier jour, armé d’un jugement en bonne forme, ce garçon à qui vous parliez de faire un sort vous sommera de déguerpir et vous mettra poliment à la porte. Comprenez-vous maintenant ?

M. de La Seiglière fut attéré ; mais telle était son adorable ignorance des choses de la vie, qu’il passa vite de l’étonnement et de la stupeur à l’exaspération et à la révolte.

— Je ne me soucie pas mal de votre Code et de vos donations entre vifs, s’écria-t-il avec l’emportement d’un enfant mutin. Est-ce que j’entends rien à tout cela, moi ? Est-ce que tout cela me regarde ? Ce que je sais, c’est que je suis chez moi. Que parlez-vous d’ailleurs de donation ! On me restitue ce qu’on m’a dérobé, on me rend les biens qu’on m’a pris, et cela s’appelle une donation ! Le mot est joli. Un La Seiglière acceptant une donation ! la chose est plaisante ! Comme si les La Seiglière avaient jamais rien accepté d’une autre main que la main de Dieu ! Comment, ventre-saint-gris ! je suis chez moi, heureux et paisible, et parce qu’un vaurien qu’on croyait mort se permet de