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Aussi, quand Brunelleschi vint fouiller les ruines de Rome antique pour en exhumer un système d’architecture il accomplissait une œuvre, nécessaire, il comblait une place laissée vide depuis mille ans. Sa patrie n’avait pas de système d’architecture, il lui en donnait un. Chez nous, au contraire, florissait, vers la même époque, un système déjà dans sa puissance, et qui ne demandait qu’à croître et à prospérer. Nous n’avions pas besoin d’un Brunelleschi en France ; il ne nous fallait que la paix et la richesse, point d’Anglais, point de Bourguignons ! Sans ces deux siècles d’oppression, de destruction et de misères, le système national aurait paisiblement et glorieusement accompli ses destinées, au lieu de tomber brusquement dans une décadence anticipée, suivie d’une renaissance dont les gracieux chefs-d’œuvre ne sauraient faire oublier l’origine étrangère et la dangereuse influence.

N’abordons pas ici des idées que nous ne pouvons tout au plus qu’indiquer, et qu’il nous suffise d’avoir montré comment les hommes du plus haut savoir, habitués à n’étudier l’art qu’en Italie, ne connaissant la France que pour l’avoir traversée, s’occupant encore moins de l’Angleterre et de l’Allemagne sont nécessairement conduits, par de fausses analogies, aux erreurs que nous avons signalées. Pour eux, le moyen-âge est partout ce qu’il est au-delà des Alpes, c’est-à-dire une époque de décadence qui se continue sans interruption jusqu’au jour de la renaissance classique, et comme l’introduction de l’ogive en Italie ne fit qu’augmenter la confusion, le pêle-mêle de tous les styles qui s’y heurtaient en désordre depuis plusieurs siècles, ils en concluent que partout comme en Italie l’époque dite gothique fut l’apogée de la décadence[1].

Nous avons répondu d’avance à cette conclusion. Non, l’architecture du XIIIe siècle, dans le nord de l’Europe, n’est pas la continuation de la décadence ; elle en est le terme. Sa seule ressemblance avec la décadence consiste à s’affranchir comme elle des règles de l’antiquité ; mais pourquoi s’en affranchit-elle ? Pour obéir à des règles nouvelles. Dans ces siècles profanes, au contraire, qui brisèrent l’entablement antique et firent asseoir à sa place, sur le tailloir de la colonne, l’arcade, qui jusque-là s’était respectueusement abritée sous l’architrave, pourquoi violait-on le noble et harmonieux système inventé

  1. « Héritière de tous les abus, de tous les mélanges dont les siècles de barbarie furent témoins, l’architecture gothique ne fait qu’achever l’œuvre de destruction avec un surcroît de désordre et d’insignifiance. » (Dict. hist. d’arch., t. II, p. 675.)