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étant alors des illusions. Qui sait si cette autre moitié de la vie où nous pensons veiller n’est pas un autre sommeil, un peu différent du premier, dont nous nous comme on rêve souvent qu’on rêve, en faisant un songe sur l’autre ?

« Voilà les principales forces de part et d’autre ; je laisse les moindres comme les discours qu’on fait contre les pyrrhoniens, contre les impressions de la coutume, de l’éducation, des mœurs, des pays, et les autres choses semblables qui, quoiqu’elles entraînent la plus grand partie des hommes communs qui ne dogmatisent que sur ces vains fondemens, sont renversées par le moindre souffle des pyrrhoniens. On n’a qu’à voir leurs livres ; si on n’est pas assez persuadé, on le deviendra vite et peut-être trop[1].

« Je m’arrête à l’unique fort des dogmatistes, qui est, qu’en parlant de bonne foi et sincèrement, on ne peut douter des principes naturels ; contre quoi, les pyrrhoniens opposent en un mot l’incertitude de notre origine, qui enferme celle de notre nature ; à quoi ces dogmatistes ont encore à répondre depuis que le monde dure. »

Comment ! on n’a pu répondre à ces objections du pyrrhonisme, depuis que le monde dure ! Mais nous venons d’entendre Pascal y répondre lui-même par sa théorie des vérités premières placées au-dessus de tout raisonnement, et par là inaccessibles à toutes les atteintes du pyrrhonisme ; et tout à coup ; ce même Pascal se rend complaisamment à des attaques tirées de je ne sais quels systèmes sur notre origine et sur l’essente de la nature humaine ! Mais ces systèmes sont précisément le sujet de disputes perpétuelles, tandis que la puissance du sentiment, de l’instinct, du cœur, c’est-à-dire de la raison naturelle, gouverne l’humanité depuis que le monde dure !

Vous croyez Pascal redevenu tout-à-fait pyrrhonien ? Point du tout ; il va de nouveau abandonner son pyrrhonisme, comme devant le pyrrhonisme il vient d’abandonner la théorie du sentiment. Après le morceau que nous venons de citer, il ajoute :

« Voilà la guerre ouverte entre les hommes, où il faut que chacun prenne parti et se range nécessairement ou au dogmatisme ou au pyrrhonisme ; car qui pensera demeurer neutre sera pyrrhonien par excellence : cette neutralité est l’essence de la cabale. Qui n’est pas contre eux est excellemment pour eux ; ils ne sont pas pour eux : mêmes, ils sont neutres, indifférens, suspendus à tout, sans s’excepter[2].

  1. Voyez Des Pensées de Pascal, p. 108 ; man., p. 258.
  2. Ibid., p. 169 ; mah., p. 237.