Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/104

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
98
REVUE DES DEUX MONDES.

du temps, haïssant d’instinct la noblesse, impatient de venger son père, il se présente au château de La Seiglière, sa haine appuyée sur son droit, le cœur et la tête remplis d’orages et de tempêtes, s’attendant à rencontrer une résistance orgueilleuse, pressentant des prétentions altières, des préjugés hautains, une morgue insolente, et se préparant à broyer tout cela sous l’ouragan de sa colère. Tout d’abord, il manque son effet ; sa haine avorte, sa colère échoue. L’ouragan qui voulait des chênes à briser ne courbe que des roseaux et va se perdre dans les hautes herbes ; la foudre qui comptait bondir de roc en roc et d’écho en écho s’éteint sans bruit dans la vallée, où elle n’éveille que de suaves mélodies. Bernard cherche des ennemis, il ne trouve que des flatteurs. Il essaie encore de loin en loin de lâcher quelques bordées ; on lui renvoie ses boulets changés en sucre. Toutefois, échappant aux enchantemens d’une Armide émérite, il va se retirer après avoir signifié sa volonté inexorable, lorsqu’apparaît une autre enchanteresse, d’autant plus séduisante, qu’elle ne songe pas à séduire. Puissance irrésistible, charme éternel et toujours vainqueur, éloquence divine de la jeunesse et de la beauté ! Elle n’a fait que paraître, Bernard est ébranlé. Elle a souri, Bernard est désarmé. C’est une enfant que Dieu doit contempler avec amour. Son front respire la candeur, sa bouche la sincérité ; au fond de son regard limpide, on peut voir son âme épanouie comme une belle fleur sous la transparence des eaux. Jamais le mensonge n’a flétri ces lèvres, jamais la ruse n’a faussé le rayon de ces yeux. Elle parle, et, sans le savoir, l’ange se fait complice du démon. Elle ne dit rien, non-seulement qui contrarie, mais encore qui ne confirme ce qui s’est dit précédemment ; il n’est pas une parole d’Hélène qui ne vienne à l’appui d’une parole de Mme  de Vaubert. La vérité a des accens vainqueurs que l’ame la plus défiante ne saurait méconnaître. C’est la vérité, c’est bien elle qui parle par la voix d’Hélène ; cependant, si Hélène est sincère, Mme  de Vaubert est sincère, elle aussi ? Bernard hésite. Si c’étaient là pourtant de nobles cœurs calomniés par l’envie ? S’il avait plu à son père d’acheter au prix de toute sa fortune quelques années de joie, de paix et de bonheur, est-ce Bernard qui oserait s’en plaindre ? Oserait-il révoquer un don volontaire et spontané, légitimé par la reconnaissance ? chasserait-il impitoyablement les êtres auxquels son père aurait dû de vivre entouré de soins et de s’éteindre entre des bras amis ?

Il en était là de ces reflexions, moins nettes pourtant dans son esprit, moins arrêtées et moins précises que nous ne venons de les exprimer, quand Mme  de Vaubert, qui s’était approchée, profita d’un