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ouvriers qui vendent leur force physique. Or, ce titre d’industriel suppose un spéculateur libre ; il est applicable aux individus des deux premières classes ; il devient impropre par rapport à l’ouvrier. Dans l’organisation présente du travail, l’homme qui vit au jour le jour de son salaire n’est, dans l’atelier, qu’une machine de plus, mise en mouvement par la fatalité, comme la navette par la vapeur. Sa misère dépend beaucoup moins de la quantité plus ou moins grande des produits fabriqués que des conditions dans lesquelles la production est opérée, que des vicissitudes commerciales et des tiraillemens de la concurrence,

On ne peut améliorer le sort des classes laborieuses qu’en changeant la relation établie entre le prix des salaires et celui des objets de première nécessité. Pourquoi les salaires sont-ils sans cesse réduits ? C’est qu’il y a trop de bras qui s’offrent pour peu de travail. Pourquoi les alimens augmentent-ils de prix ? C’est, indépendamment de la dépréciation du numéraire, qu’ils n’arrivent pas assez abondamment sur les marchés pour le nombre des acheteurs. Diminuer la concurrence que se font les ouvriers, augmenter en leur faveur les facilités de l’existence, tels sont les deux termes de la proposition. Il n’est pas nécessaire, on le conçoit, il serait même dangereux de doubler dans son ensemble la production nationale. De même qu’on rend la vigueur à tout le corps humain en guérissant la partie malade, il suffit, pour accélérer généralement le mouvement productif, de provoquer certaines exploitations négligées, de ranimer certaines industries souffrantes.

Nous n’avons qu’à ouvrir le Cours de M. Chevalier pour trouver des faits qui nous serviront à expliquer, notre pensée. Il y a encore dans le Doubs, le Jura, le Var, l’Isère, les Hautes et Basses-Alpes, des populations tellement engourdies, qu’elles ne cuisent leur pain qu’une fois l’an, et ce qu’elles appellent leur pain, ce sont des masses de mauvaises pâtes qu’on laisse durcir, et qu’on dépèce à la hache. Certains départemens, comme la Dordogne, la Lozère, sont si pauvres, que la race humaine tend à s’y abâtardir. On peut le supposer du moins, puisque ces contrées ont été régulièrement hors d’état de fournir leur contingent à notre armée, et qu’ainsi tout homme valide qui n’a pas droit à l’exemption légale, ou qui est trop pauvre pour se faire remplacer, n’a aucune chance d’échapper au recrutement. Il est évident que ces misérables paysans doivent être à peine comptés parmi les tributaires de notre industrie. Supposons au contraire qu’une administration prévoyante eût entrepris de stimuler ces populations qui