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besoins exceptionnels de cette société naissante seront satisfaits ; la veine des spéculations deviendra moins féconde, et une sourde irritation éclatera contre les détenteurs du crédit, parce que seuls ils paraîtront n’avoir pas à souffrir de la crise imminente.

« La possession d’un gros capital, dit M. Chevalier, confère un avantage semblable à celui du baron féodal, qui, du haut de son château-fort, dominait les paysans de la vallée. » De toutes les puissances, l’argent est la plus libre. Il plane sur le monde et s’abat partout où il voit un bénéfice à saisir. Citons, d’après M. Chevalier, un exemple de ce despotisme. On sait que dans les mines d’argent, on dégage ce métal des corps hétérogènes au moyen du mercure. Les mines de mercure sont très rares. Il en est deux seulement qui donnent des produits abondans : celle d’Almaden, en Espagne, et celle d’Idria, dans la Carniole Eh bien ! depuis quelques années, les grands spéculateurs se sont emparés de ces deux mines, et, par suite de ce monopole, ont fait renchérir l’exploitation des métaux précieux d’environ 10 francs par kilogramme. Or, comme la France reçoit chaque année, en échange de ses productions, 360,000 kilogrammes d’argent, elle est tributaire d’une rente annuelle de 3,600,000 francs, que se partagent d’heureux capitalistes. La production totale des mines d’argent de l’ancien et du Nouveau-Monde étant évaluée à 825,000 kilogrammes, le bénéfice net des accapareurs de mercure doit dépasser annuellement 8 millions.

Un accroissement exagéré de circulation au moyen du crédit peut tourner au détriment de la classe pauvre. Dans les pays où une trop grande somme de valeurs mobilisées fonctionnent comme la monnaie dont elles augmentent la masse, la puissance commerciale de l’argent se trouve amoindrie, et le prix des denrées nutritives s’élève en raison de cet avilissement. C’est ce qu’on observe en Angleterre, où l’existence est fort dispendieuse : on peut encore citer ce même pays en exemple aux théoriciens qui affirment que le taux des salaires s’élève toujours proportionnellement, au prix des subsistances. La surabondance des richesses mobiles peut même devenir préjudiciable à une nation. Lorsque le capital disponible ne trouve pas dans le pays même des bénéfices assez certains, non-seulement il cesse de féconder l’industrie nationale, mais il se retourne contre elle, en se transportant à l’étranger pour lui créer des concurrences. Vers 1729, l’argent abondait à tel point en Hollande, que le taux de l’intérêt y flottait entre 1 et 2 pour 100. Le capital disponible ayant cherché des placemens à l’extérieur, favorisa de toutes parts les spéculations