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cette haine qui tue, cet amour dont on meurt, tout cela n’est-il pas fait pour échauffer le génie d’un grand-maître ? et si je pense à la péroraison du drame, à ce poétique Requiem de la fin, quelle plus glorieuse matière à mettre en musique ? Avec la scène des adieux, un musicien tel que Mozart eût fait un chef-d’œuvre impérissable. Il y a tant de pathétique et d’expression dans ces dernières paroles que l’auguste victime adresse en mourant à tout ce qui lui fut cher et précieux sur la terre, tant de suave et divine mélancolie dans ce royal regard, qui tantôt se lève vers le ciel, pour implorer pardon, tantôt s’abaisse doux et souriant sur le collier de perles, héritage de la fidèle camériste ! Je le répète, la muse du chantre de dona Anna, si élevée, si noble, si parfaitement grande dame en ses moindres inspirations, eût soupiré là une de ces sublimes élégies musicales, comme elle seule en rencontra jamais. Ce n’est point que cette scène dont nous parlons manque absolument dans l’opéra de M. Niedermeyer, elle s’y trouve, et aussi celle de Fotheringay ; mais l’une et l’autre seulement esquissées, tant l’encombrement de l’action laissait peu de place aux ressorts essentiels du sujet. Je m’étonne qu’on ait pu se tromper de la sorte, et chercher son succès dans des lambeaux anecdotiques, laborieusement cousus à la file, quand on avait sous la main l’œuvre lyrique par excellence, une œuvre à la fois concise et se prêtant, au développement, idéale et réelle, où le sublime se meut en dehors de l’abstraction, une œuvre en un mot faite à souhait pour répondre aux conditions de l’opéra.

A côté de Mozart, tout à l’heure nous aurions pu nommer aussi M. Meyerbeer ; car, si la dernière scène de la tragédie nous semblerait convenir davantage à la manière élégiaque et tendre du cygne de Salzbourg, le reste de l’ouvrage, par le caractère, la couleur, rentre plus spécialement dans le domaine de l’auteur des Huguenots. C’est là que M Meyerbeer eût trouvé aliment à ce style historique qu’il affecte, à ce goût louable qu’il nourrit d’accuser nettement ses personnages, et de faire de chaque rôle une figure à part, et vivant de sa propre vie. Quant à ces effets de contraste, effets plus métaphysiques sans doute que musicaux, qu’il a prétendu tirer dans les Huguenots de l’opposition des deux croyances, la tragédie de Marie Stuart n’eût certes pas manqué de les lui fournir, et la reine d’Écosse d’un côté, la reine d’Angleterre de l’autre, nous sembleraient les deux virtuoses par excellence pour exécuter ce fameux duo du papisme et du protestantisme, qui l’a si sincèrement préoccupé. Et puis, quelle plus admirable création, quel type plus digne d’un grand maître que ce Mortimer, dont les sentimens catholiques, déjà émus par le spectacle des pompes romaines, s’élèvent et s’exaltent jusqu’à l’enthousiasme, jusqu’à la conviction sous le feu d’un regard de Marie ! Est-ce votre Raoul, dites-moi, qui parlera jamais ce langage passionné ? est-ce lui qui trouvera jamais ces intrépides mouvemens du cœur dignes du Henri Percy de Shakespeare ? Dans l’espèce de chronique en cinq actes que l’académie royale de musique vient de représenter, Marie Stuart est tout simplement une princesse infortunée, qui