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l’autorité militaire qui commande à Logroño. Douze insurgés ont été passés par les armes à Hecho, à Siresa et à Ansò. Peut-on espérer que d’autres exécutions n’ajouteront pas à la consternation qui règne par-delà les Pyrénées. Nous ne savons ; personne encore ne le pourrait affirmer, car, à Madrid, un conseil de guerre, présidé par le général Cordova, frère du célèbre général qui a combattu les carlistes en Biscaye et en Navarre, vient de prononcer trois condamnations capitales. A la date de nos dernières nouvelles, on craignait que l’un des condamnés, celui à qui l’on attribue la pensée de la conspiration découverte en juillet, le colonel Rengifo, ne fût exécuté le lendemain même de l’arrêt. En vérité, plus nous réfléchissons, moins nous pouvons comprendre que le gouvernement espagnol se laisse entraîner à de telles extrémités par ce que ses journaux appellent la raison d’état. Au point où sont arrivées les choses, c’est précisément la raison d’état qui lui fait un devoir d’en finir avec ces mesures que repousse l’esprit de notre siècle. Le cabinet Narvaez ne s’est formé que pour restaurer en Espagne le règne de la légalité. Le noble but vers lequel tous ses efforts devaient tendre n’en est-il pas aujourd’hui aussi éloigné que pouvait l’être le cabinet de M. Gonzalez-Bravo lui-même, après la répression du soulèvement d’Alicante ? Et les exécutions du mois de mars, à Carthagène, diffèrent-elles beaucoup des exécutions de novembre, à Logroño ?

Une autre considération, et, selon nous, une considération toute-puissante, devrait déterminer le cabinet Narvaez à se relâcher de cette politique impitoyable qui jamais, du reste, n’a prévenu en Espagne l’explosion des mécontentemens. Dans le pays entier l’opinion publique se prononce avec énergie contre la juridiction militaire qui, sans protéger efficacement la société, enlève à l’accusé toute espèce de garantie. On se souvient de l’incroyable réquisitoire dans lequel le fiscal Aznar concluait, sur de vagues présomptions, à la peine de mort contre le comte de Reus. Le conseil de guerre annula le réquisitoire et ordonna qu’une autre instruction aurait lieu. Cette instruction eut lieu, en effet, aussi rapide, aussi sommaire, aussi incomplète que la précédente, et si Prim ne fut point condamné à être passé par les armes, si on se contenta de lui appliquer une peine sans proportion avec le crime qui lui était imputé, cela tint, on le sait bien, à des raisons politiques, et non certes aux argumens développés dans le second rapport de M. Aznar. Le procès du général Prim et celui du colonel Rengifo ont fait clairement ressortir tous les inconvéniens de la juridiction militaire, telle qu’en ce moment elle subsiste chez nos voisins. Des témoins qui déposent sous l’impression de la crainte, d’autres que l’on refuse d’appeler à l’audience, bien que les accusés demandent instamment qu’ils y soient appelés ; un tribunal composé d’officiers subalternes, — nous parlons du procès de Rengifo, — fonctionnant sous les regards du président avec le même esprit de discipline que s’ils étaient en campagne, à la suite de leur brigadier ou de leur colonel ; des défenseurs officiels pris au hasard dans la garnison de la ville, qui à peine savent lire les mémoires que le défenseurs sérieux, des