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REVUE DES DEUX MONDES.

— M’êtes-vous dévoué corps et âme ?

— En avez-vous jamais douté ?

— Si de graves intérêts qui me concernent vous obligeaient de partir pour Paris ?

— Je partirais.

— Immédiatement ?

— Je vais partir.

— Sans perdre une heure ?

— Je pars dit Raoul en prenant son chapeau.

— C’est bien, dit Mme de Vaubert. Cette lettre renferme mes instructions ; vous ne l’ouvrirez qu’à Paris. La malle de Bordeaux passera à Poitiers dans deux heures. Voici de l’or. Embrassez-moi. Maintenant, partez.

— Sans présenter mes adieux au marquis et mes hommages à sa fille ? demanda Raoul hésitant.

— Je m’en charge, dit la baronne.

— Cependant…

— Raoul, m’aimez-vous ?

— Que penseront ?…

— M’êtes-vous dévoué ?

— Ma mère, je suis parti.

Trois heures après, M. de Vaubert roulait vers Paris, moins perplexe et moins intrigué qu’on ne pourrait se l’imaginer, et convaincu que sa mère l’envoyait tout simplement acheter les présens de noce. À peine arrivé, il brisa le cachet de l’enveloppe qui renfermait les instructions de la baronne, et il fut les lignes suivantes :

« Amusez-vous, voyez le monde, ne fréquentez que des gens de votre rang, ne dérogez en rien ni jamais, ménagez votre jeunesse, ne songez à revenir que lorsque je vous rappellerai, et reposez-vous sur moi du soin de votre bonheur »

Raoul ne comprit pas et ne chercha point à comprendre. Le lendemain, il marchait gravement sur le boulevard, l’air froid et compassé, et, au milieu des splendeurs de ce Paris qu’il voyait pour la première fois, aussi peu curieux de voir et d’observer que s’il se promenait sur ses terres.

Jules Sandeau. 
 (La fin au prochain numéro).