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les provinces nombre de bandes joyeuses qui, sous prétexte d’instruire et de moraliser le peuple, allaient jouer en plein vent des scènes bouffonnes ou des mascarades satiriques.

Je voudrais pour me rapprocher du but de mes recherches, pouvoir caractériser la nuance de talent déployée par ces acteurs improvisés. À cette époque, les traditions de la scène antique étaient complètement effacées. Les confrères, qui prenaient long-temps à l’avance l’engagement solennel de jouer leurs rôles, les étudiaient sans doute avec beaucoup de soin, mais sans méthode, sans aucune notion d’art. Ces bégaiemens de la muse moderne n’eussent pas été supportables, s’ils n’avaient pas été soutenus par le pieux sentiment qui les animait. La foi naïve, l’onction religieuse des dévots personnages qui se réservaient les beaux rôles dans les mystères, devaient les élever par instans au ton d’une émotion sympathique. Je lis dans un vieil historien du Berry (Lassay), à propos de la représentation des Actes des Apôtres donnée à Bourges, que ce mystère «  fut joué par des hommes graves, qui savaient si bien feindre par signes et gestes les personnes qu’ils représentaient, que la plupart des assistans jugeaient la chose être vraie et non fausse. » Il est permis de croire aussi que les moralités, les farces grivoises, les diableries, lorsqu’elles avaient pour acteurs des hommes comme Villon où l’auteur de l’Avocat Patelin, étaient relevées par d’ingénieuses fantaisies ou par l’entrain d’une gaieté mordante.

Les confrères dramatiques n’auraient pas pu subvenir aux frais d’une pompeuse mise en scène, sas recourir à la générosité des spectateurs. Il est probable que les quêtes étaient faites dans la foule, ou qu’une légère rétribution était exigée pour certaines places réservées. L’appât des recettes conduisit à l’idée d’une spéculation sur la curiosité publique. D’amateurs qu’ils étaient, beaucoup de confrères devinrent des comédiens de profession. Il n’y avait là rien que d’heureux, puisqu’un art, assez vaste pour absorber toute la vie, ne saurait se perfectionner qu’en procurant des moyens d’existence à ceux qui l’exercent. Cette métamorphose date, pour Paris, de l’an 1402. Les confrères, établis au-delà de la porte Saint-Denis, dans le couvent des Trinitaires, y exploitèrent leur genre de spectacle pendant un siècle et demi avec assez d’avantages pour être en mesure d’acheter, en 1547, l’ancienne résidence des plus puissans vassaux de la couronne, de France, l’Hôtel de Bourgogne, situé rue Mauconseil. L’édifice, qui menaçait ruine, fut restauré conformément à sa destination nouvelle : en même temps, un arrêt du roi, interdisant à l’avenir la représentation