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des spectateurs comme de l’acteur lui-même. Cette improvisation prétendue ne pouvait être qu’une variante sans cesse renouvelée de la même charge, de la même plaisanterie. Les gravures du temps, celles de Callot, par exemple, font voir qu’à défaut de verve comique, on obtenait le rire par des turpitudes.

Avertis par le dégoût public de la nécessité de se réformer, les troupes ambulantes perdirent leurs principaux moyens d’effet, et devinrent insensiblement aussi moroses que les troupes académiques. Sous le poids d’une disgrace commune, les érudits et les improvisateurs se rapprochèrent. Il résulta de leur alliance un genre bâtard, qui étala des prétentions littéraires en conservant le sans-gêne de l’impromptu. La verve nationale semblait épuisée. Pour la renouveler, on ne sut mieux faire que des emprunts maladroits aux théâtres de la France et de l’Espagne. Pendant, le XVIIIe siècle, plusieurs poètes comiques, d’une ingénieuse fécondité, ne captivèrent la multitude qu’en mêlant à leurs ouvrages étudiés les charges des anciennes parades. Quant à cette classe exigeante et capricieuse qui s’appelle la bonne société, professant pour le drame parlé une indifférence dédaigneuse, elle commença à manifester cet engouement musical qui est pour la littérature un symptôme funeste. Autant il y avait eu autrefois d’académies de déclamation, autant on fonda de conservatoires de musique où l’on offrit gratuitement à la jeunesse, avec des leçons de chant, les élémens des connaissances utiles, et une bonne éducation morale. Vers 1760, on comptait à Naples trois de ces écoles, et quatre à Venise. Tous ceux qui sentirent en eux l’étincelle de la vocation dramatique se réunirent dans les conservatoires, où ils apprirent la vocalise, au lieu de s’élever jusqu’à l’éloquence du geste et de la diction. L’Italie obtint ainsi les plus grands chanteurs qui eussent existé ; mais elle se priva à jamais de la plus pure des jouissances littéraires, de cette émotion saine et bienfaisante qu’on éprouve en sympathisant avec un excellent comédien.

J’arrive à l’Espagne. Nous manquons en France de documens directs et précis sur les comédiens de ce pays, et nous sommes réduits à nous en faire une idée en étudiant le caractère et les vicissitudes du théâtre espagnol. Le génie dramatique s’éveilla vers la fin du XVe siècle. Ses premiers bégaiemens furent de petits poèmes dialogués que leurs auteurs mirent en action, en s’associant au besoin quelques camarades : de là vint que les directeurs de théâtre conservèrent long-temps le nom d’autores. Gil Vicente et sa fille à la cour de Portugal, et Lope de Rueda, simple artisan à Séville, furent les premiers qui se firent un