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rang. La gaieté n’est permise qu’à la gueuserie : les êtres vils et pauvres ont seuls le droit de faire rire en riant eux-mêmes. Observons encore que le dialogue espagnol, écrit en petits vers d’un mouvement rapide et passionné, est entrecoupé par des sonnets et des stances qui se détachent, comme les airs de nos drames lyriques. Le passage fréquent d’un mètre à l’autre, l’entrain irrésistible des parties dialoguées, la nécessité de faire ressortir la pointe du sonnet ou de détailler les beautés poétiques de la stance, me semblent autant d’obstacles au naturel du débit et à la progression dramatique des effets. Les mauvaises conditions acoustiques de ces salles ouvertes eussent détruit d’ailleurs ces nuances de diction qui font vivre les personnages. J’oserai donc conclure, de tout ce qui précède, qu’une énergie fougueuse, une emphase castillane dans le genre héroïque, une pétulance bouffonne dans le genre picaresque, étaient les principaux, peut-être les seuls mérites, des acteurs espagnols au XVIIe siècle ; qu’improvisant la mise en scène pour des poètes, qui improvisaient les pièces, leur déclamation devait être conventionnelle, imparfaite, et fatigante à la longue par son uniformité. L’Espagne, soumise au petit-fils de Louis XIV, ouvrit les yeux sur les inconvéniens de son vieux théâtre, et essaya de conformer sa poétique aux habitudes de la scène française. Les historiens littéraires s’accordent à reconnaître que cette innovation ne fut pas heureuse. On dit qu’une régénération théâtrale coïncide présentement avec les réformes politiques ; que déjà de grands talens se sont révélés : prenons acte de la déclaration.

L’Angleterre, dont la civilisation se développe parallèlement à celle de la France, débute aussi dans la carrière théâtrale par les drames religieux et les comédies satiriques jouées par des bourgeois. Au XVIe siècle, on commence à spéculer sur la légère cotisation exigée jusqu’alors des spectateurs. L’instinct dramatique, chez quelques-uns, le libertinage chez le plus grand nombre, transforment les candides confrères en comédiens errans, qui vont exploiter à leurs risques et périls la curiosité des provinces. Beaucoup de comédiens aux gages des seigneurs étaient tristement confondus dans la domesticité des grandes maisons. Shakspeare parut ; on sentit qu’il fallait pour se conceptions variées comme le monde qu’elles reflètent, d’autres interprètes que les vagabonds accoutumés à jouer d’instinct des pièces à peu près improvisées. Elisabeth choisit les douze meilleurs sujets des différentes troupes publiques et particulières, et leur donna, avec le titre de comédiens royaux, une pension et des privilèges qui les mirent au-dessus de la nécessité. Que les pièces de Shakspeare aient été jouées dans