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aurait là de quoi la dissiper incontinent. Cependant je songe à tant de choses que j’ai à vous dire, et je me ravise. Procédons avec ordre, nous en viendrons toujours assez tôt à nous occuper de vos critiques ; pour le moment, parlons du chef-d’œuvre : ab Jove principium.

Voilà donc votre Otello installé désormais sur la scène française. Poètes, chanteurs et musiciens ont exécuté leur entrée, et, comme ces tailleurs du Bourgeois gentilhomme, sont venus prendre la mesure au chef-d’œuvre d’il y a vingt ans pour rhabiller selon le goût du jour. Ainsi que bien vous pensez, le damas, le velours et l’or ne devaient pas manquer, et l’on s’est empressé d’entourer de tout le caractère et de toute la couleur locale imaginables les marionnettes du librettiste italien, rendues un peu plus ridicules par le naïf sérieux dont cette mirifique traduction affecte de les traiter. On a donc suivi en tout point le cérémonial en usage à l’Académie royale de musique, où la question des souquenilles et des hallebardes prime de si haut, comme on sait, la question musicale ; et ce n’est que l’avant-veille de la première représentation, lorsque les palais de marbre et d’or ont été élevés à grands frais, lorsque tant de splendides robes de patriciens ont été taillées en plein brocard, qu’on s’est aperçu de la faiblesse, je ne dirai pas du néant de l’exécution. D’où venait cela ? Est-ce que par hasard les étoffes étouffaient les voix ? Au fait, au Théâtre-Italien, où le luxe des tentures, à coup sûr règne beaucoup moins, on peut dire que les voix sonnent mieux. Vous vous demandez comme moi à quels arrêts d’en haut il fallait se soumettre, et s’il n’existait point, à ce sujet dans le cahier des charges une de ces clauses désastreuses moyennant lesquelles il faut qu’une administration de théâtre se ruine à jour fixé. Mais non, le ciel, que je sache, ne tonnait pas, et les oracles du cahier des charges n’avaient point senti la nécessité de voir apparaître en 1844, à l’Académie royale de musique, une traduction de l’Otello italien. Il y a donc là-dessous une gageur que vous ni moi ne pouvons pénétrer. En effet, quand on n’a pour soi que Mme Stoltz et les restes de ce grand chanteur qu’on appeler Duprez, entreprendre tout à coup de lutter corps à corps avec les plus récentes les plus splendides, les plus illustres traditions de la scène italienne, où le chef-d’œuvre se maintient encore avec gloire, grace aux efforts de la belle Giulia et de ceux qui l’entourent, franchement, cela ne s’explique point. Il est vrai qu’on espérait beaucoup dans l’exactitude des costumes et dans cette haute science des entrées et des sorties dont se sont toujours si fort piqués les grands esprit du lieu.