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pas de son avis, vous êtes un mauvais, citoyen ; si vous n’admirez pas la politique de M. Guizot, vous êtes un intrigant où un révolutionnaire. Voilà un système qui n’exige pas grands frais de dialectique. On met l’injure et la calomnie à la place du raisonnement, et tout est dit. La presse ministérielle affecte de ne pas voir que l’opposition renferme beaucoup de gens disposés à faire la part du bien et du mal dans la politique de M. Guizot, et à signaler le mal sans passion. Pour triompher plus aisément de tous les adversaires du cabinet, elle prête le même langage à des partis différens, elle mêle à dessein les opinions les plus contraires, elle fait marcher ensemble sous le même drapeau ceux qui veulent la paix et ceux qui veulent la guerre, les partisans de l’alliance anglaise et ceux qui la repoussent, les amis du gouvernement de juillet et ceux qui l’attaquent. Cela s’appelle discuter. Que diront les chambres, si le ministère emploie, pour les convaincre, les argumens de ses journaux ?

Que sert, par exemple, de nous parler sans cesse des bienfaits de la paix ? Ne savons-nous pas que la guerre est un horrible fléau ? Combien y a-t-il de gens en France qui aient besoin qu’on leur démontre tous les matins cette vérité ? Aurait-on la prétention de convertir là-dessus les républicains et les légitimistes ? Il faudrait au moins s’y prendre plus adroitement pour réussir. Comment, vous parlez à des ennemis du gouvernement de juillet, à des gens qui n’aspirent qu’a le renverser pour s’établir au milieu de ses ruines, et vous leur dites qu’une guerre mettrait ce gouvernement en péril, que la paix est la sauve-garde de notre dynastie, qu’une guerre avec l’Angleterre entraînerait la France vers des abîmes ! L’excellent moyen que vous prenez pour inspirer aux ennemis du gouvernement de juillet des dispositions pacifiques à l’égard de l’Angleterre ! Mais peut-être ne parlez-vous pas seulement pour les légitimistes et les républicains ? Suivant vous, quiconque ne comprend pas comme vous le système de la paix veut la guerre. Quiconque veut pour la France une situation plus digne et plus sûre, une politique plus libre au dehors et plus féconde, est un partisan de la guerre. Ingénieux mensonge, habile calomnie, qui tend à faire supposer en Europe que la passion de la guerre s’est séparée inopinément chez nous des esprits les plus sérieux, qu’elle règne jusque sur les bancs de la majorité parlementaire qu’elle est entrée dans le cœur des hommes les plus dévoués au pays, et qui ont rendu à la paix des services signalés ! Quels peuvent être les fruits d’une semblable tactique ? Vous êtes, dites-vous, les défenseurs de la paix, et vous ne craignez pas d’ébranler la sécurité de l’Europe en supposant des projets belliqueux à des hommes que le mouvement naturel de l’opinion peut porter d’un jour à l’autre au pouvoir ! Voilà les intérêts de la paix merveilleusement défendus ! L’Angleterre, qui a vu combien de fois. Le ministère du 29 octobre a failli tomber devant les chambres, qui sait combien sa base est étroite, doit éprouver une singulière confiance dans les destinées de l’entente cordiale ! Les puissances du Nord doivent se sentir bien rassurées