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grand mal, si elles étaient pises au sérieux, car elles feraient supposer que notre gouvernement et nos chambres ont été aveugles depuis quinze ans, que l’esprit public est mort dans notre pays, avec le bon sens et la raison, que tous nos hommes d’état ont perdu la tête, que tous nos administrateurs sont incapables, et que cette belle France, dont nous sommes si fiers, peut devenir en huit jours la proie du premier ambitieux qui viendra jeter contre elle une flotte et une armée ! Grace à Dieu, la modération et les lumières de M. le prince de Joinville, la, rectitude de son jugement, les vues droites d’une ame qu’aucun intérêt de parti ne saurait troubler l’ont garanti contre de pareils écarts. Demandez d’ailleurs à l’Angleterre ce qu’elle en pense. L’écrit du prince, loin de passer à ses yeux pour une révélation imprudente de notre faiblesse maritime a été pris par elle pour une menace. Le sentiment qui l’avait dicté était si vif, l’élan était si généreux, on y voyait une si grande confiance dans la fortune de la nation ; le jeune prince, tout en découvrant un défaut de notre armure, montrait si bien que l’énergie de la France saurait au besoin suppléer sa force ; cet aveu d’une infériorité passagère sur un point spécial, était fait avec une simplicité si mâle et si digne, véritable témoignage d’une vraie grandeur, que l’honneur du pays, au lieu d’en souffrir, s’en est agrandi et la France n’en a paru que plus redoutable, ou respectable si l’on veut. La presse de Londres, la tribune même, ont été jusqu’à voir une pensée guerrière dans des pages que le patriotisme seul avait inspirées. On sait aussi comment ces pages ont été accueillies à leur apparition par notre cabinet, qui a délibéré un instant s’il ne les désavouerait pas à la tribune comme une manifestation trop vive du sentiment national, et qui, faute du courage nécessaire pour les frapper d’un blâme officiel, les a fait attaquer en termes amers par le plus accrédité et le plus dévoué de ses journaux. Non, l’exemple donné par M. le prince de Joinville ne peut être invoqué pour justifier une polémique aussi imprudente qu’insensée. Un acte de modération, de bon sens et de vigueur ne peut être comparé à des extravagances.

Le ministère devrait montrer plus de confiance dans la justice du pays. Il ne devrait pas employer, pour se défendre, les argumens dont se servent les causes désespérées. Les adversaires sérieux du cabinet ne lui disent pas qu’il a déshonoré la France. Ils ne l’accusent pas d’avoir fait une paix honteuse. Ils n’ont jamais prétendu qu’il eût mieux valu déclarer la guerre à l’Angleterre que de signer l’arrangement de Taïti, et la paix que l’on a faite avec le Maroc. Pourquoi donc s’efforcerait-on de leur prouver que la France n’est pas en état de faire la guerre à l’Angleterre ? Nous croyons, quant à nous, que la France a une belle et brave armée, qui a fait ses preuves ; que la marine française, inférieure à celle de l’Angleterre ; peut cependant, à la faveur de certaines circonstances, soutenir avec elle une lutte glorieuse ; que le nombre d’ailleurs ne décide pas toujours du sort des batailles ; que le bon droit soutenu par le courage donne des alliés ; qu’enfin, une guerre juste