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Ne voit on pas d’ailleurs que déjà ce mouvement de l’opinion publique domine les cabinets et les force chaque jour à démentir la politique qu’ils proclament ? C’est au nom de l’indépendance et de l’intégrité de l’empire ottoman qu’en 1840 quatre puissances se sont coalisées contre la France. C’est au nom de cette même indépendance et de cette même intégrité que la France a bien voulu oublier en 1841 ses justes, griefs, et rentrer par une porte assez petite dans le concert européen. Indépendance et intégrité de l’empire, voilà donc la grande pensée européenne, voilà l’intérêt supérieur auquel tant d’autres intérêts ont dû être sacrifiés. Est-ce pourtant maintenir l’indépendance, et l’intégrité de l’empire que devenir, du matin au soir, se mêler ouvertement non de ses rapports avec les Européens étrangers, mais de ses rapports avec ses propres sujets ? Est- ce maintenir l’indépendance et l’intégrité de l’empire que d’intervenir à tout propos dans son administration intérieure, que de lui désigner comment et par quels délégués il doit gouverner telle ou telle province ? Est-ce maintenir l’indépendance et l’intégrité de l’empire que de lui signifier rudement, comme le faisait l’Angleterre dans l’affaire des renégats, « qu’il ne vit que par la bonté, que par la charité des grandes puissances et que s’il ne consent pas à modifier sa loi pénale et sa loi religieuse, la main qui le soutient se retirera de lui. » C’est vraiment un triste spectacle que celui de ce divan, jadis si redoutable, aujourd’hui ballotté entre trois ou quatre ambassadeurs, et qui ne parvient de temps en temps à faire sa volonté qu’à la faveur de leurs divisions et de leurs rivalités. Sans doute, presque toujours du moins, les ambassadeurs font bien d’insister, et le divan de céder. Il n’en est pas moins vrai que tant d’exigence d’une part, tant de condescendance de l’autre, affaiblissent et décréditent le gouvernement ottoman dans l’esprit des populations musulmanes comme des populations chrétiennes. Il n’en est pas moins vrai qu’il en résulte nécessairement chez les unes un découragement profond, chez les autres une confiance qui croît chaque jour. Il n’en est pas moins vrai qu’ainsi atteinte dans sa puissance, dans sa considération, la Porte n’a plus qu’une existence précaire, factice et dépouillée de toute espèce de prestige.

De tout cela je ne veux pas conclure avec M. le maréchal Sébastiani, avec M. de Lamartine, que l’empire ottoman ne soit plus qu’un cadavre ; et qu’il convienne de le traiter comme tel. Je veux moins conclure encore qu’il soit juste, qu’il soit politique de hâter sa mort et d’y mettre la main. Le droit des gens et le respect des traités existent pour la Porte comme pour les autres puissances. Quand on