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et que l’on pourrait croire entraîné irrésistiblement vers la satire, il semble qu’il dût être l’homme le moins propre à toucher aux problèmes difficiles qui résultaient de la condition politique et sociale de sa patrie à l’époque où il a commencé à écrire. Cependant personne ne les a discutés plus sérieusement au fond ; personne, sous une apparence de légèreté, n’a montré plus de suite dans ses opinions, un jugement plus ferme et des croyances plus chaleureuses. C’est un écrivain si singulier, et par son excentricité même, et par le contraste que son sens droit et son inflexible honnêteté de cœur présentent avec la bizarrerie de sa forme, qu’il, n’est aucun de nos publicistes, je devrais dire de nos pamphlétaires, si le mot n’était pas trop discrédité, avec qui je pourrais le comparer.

M Sydney Smith appartient à la classe des écrivains qui ont reçu en Angleterre le nom d’humoristes, il ne faudrait pas pourtant donner à cette désignation le sens que nous y attachons généralement. L’humour, par cela même que le mot est intraduisible en français, est un genre de talent dont nous ne nous rendons pas bien compte, et qui a une signification trop exclusive chez nous. Au fond, ce n’est pas tant une qualité de l’individu qu’une face du caractère national. De même qu’il y a des figures anglaises, il y a aussi un esprit anglais, qui n’est pas l’esprit de tout le monde, qu’un étranger peut comprendre, mais qu’il ne saurait s’assimiler comme il fait de l’esprit français. La physionomie indéfinissable de cet esprit, c’est l’humour. Tout Anglais est humoriste né, et M. Sydney Smith l’est en proportion de son esprit. Cette explication est nécessaire, parce qu’en prenant droit de bourgeoisie dans notre langue, le mot d’écrivain humoriste a dévié de son origine. Il représente à nos yeux un esprit plein de caprices et de lubies, un auteur qui a des nerfs comme une femme, sensible au froid et au chaud, voyant rose à présent et disant noir la seconde d’après ; un homme enfin chez qui le tempérament règle tout, les opinions, les préférences, les idées, c’est-à-dire ne règle rien. Je n’aime pas, je l’avoue, que ceux qui sont forcés par leur nature d’obéir à de soudaines et explicables influences, aux mille réactions du monde extérieur sur le cerveau touchent aux choses sérieuses de la critique. Autant on prend plaisir à suivre le poète que la fantaisie emporte, dont la muse rêveuse bat les buissons de la fiction à la manière des écoliers qui n’ont jamais d’autre but que de ne pas arriver, autant on finit par trouver insupportable le juge qui s’empare d’un fait, d’un homme, ou d’une idée, pour nous parler de ses chimères, pour attirer sans cesse l’attention sur lui-même ; qui, ne connaissant d’autre loi que son humeur