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de l’instant, soit qu’il écrive de bonne foi ou qu’il plaisante, finit toujours par mystifier le lecteur. Telle est l’idée qu’on se fait communément des humoristes parmi nous. Or, personne ne ressemble moins à ce portrait que M. Sydney Smith. Avant tout, c’est un homme qui a des convictions, qui sait d’où il part et où il va, et personne n’est plus fermement attaché que lui à certains principes invariables. Il n’a d’un humoriste que l’esprit, de bizarre et de capricieux que la forme ; chez lui, le cœur st sympathique et chaleureux, l’ame est constante, et toutes ses facultés s’emploient au service de la cause que, de concert avec ses amis d’Edimbourg, il s’es promis de défendre. Et, ce qui est bien remarquable en lui, c’est la sûreté de son jugement, c’est la clarté pénétrante de sa raison ; l’esprit qu’il a n’est autre chose que le relief, de son bon sens. Dans tout ce qui est injuste et mauvais, il découvre vivement le côté grotesque, et son art consiste à faire ressortir la relation constante de l’absurde et du faux, que nous n’apercevons pas toujours dans le monde moral, et que la passion nous cache plus souvent encore dans l’ordre des idées politiques.

Du recte, nous ne saurions mieux définir cette nature d’esprit, en apparence fantasque et railleuse, au fond très sérieusement appliquée à des objets sérieux qu’en rappelant ici ce que M. Sydney Smith lui-même a dit de sir James Mackintosh, qui a passé à bon droit pour l’un des hommes les plus spirituels de l’Angleterre. « Sir James, a-t-il écrit quelque part, n’avait pas seulement de l’humour, il avait aussi de l’esprit (wit) ; du moins, dans ses raisonnemens, des rapports soudains et nouveaux d’idées illuminaient sa pensée, produisaient sur l’auditoire le même effet que l’esprit, et auraient passé pour tels, si le sentiment instantané de leur valeur et de leur utilité avait laissé le pouvoir d’admirer leur nouveauté, et ne leur avait mérité le nom plus élevé de sagesse (wisdom)… La justesse de la pensée était un des traits fortement accusés de son intelligence ; sa tête était de celles où la sottise et l’erreur ne peuvent prendre racine… Si le talent de conversation qui le distinguait lui avait servi seulement à soutenir de brillans paradoxes, il aurait bientôt fatigué ceux qui l’écoutaient ; mais personne ne pouvait vivre long-temps dans l’intimité de sir James sans trouver qu’il possédait l’art de dissiper le doute, de corriger l’erreur, enfin d’étendre les limites et de fortifier les fondemens de la vérité. »

Il semble que, pour dessiner ce portrait de sir James Mackintosh, M. Sydney Smith se soit étudié involontairement lui-même. Ces qualités utiles de l’esprit qu’il admirait dans l’homme célèbre dont il fut l’ami, ce sont précisément celles qui caractérisent son talent ; dans son intelligence