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père de famille, le plus honnête homme du monde, le révérend Abraham remplit scrupuleusement les devoirs de sa profession. Bon pour le pauvre anglican, charitable envers le prochain orthodoxe, il n’a qu’un travers, le digne pasteur, c’est de croire, que le pape est l’ante-christ couronné, que Rome est la vieille dame écarlate qui siége sur les sept collines, que l’Irlande est un ramas d’infidèles et de bandits ; qu’il vaudrait mieux cent fois, pour le bonheur de l’Angleterre, que cette île maudite fût à cinq cents brasses au fond de la mer, et que ce qu’il y a de mieux à faire, puisqu’on ne peut s’en débarrasser, c’est de continuer les traditions du glorieux Guillaume III, c’est d’écraser l’idolâtrie papiste sous la vénérable fabrique de la constitution. Ainsi, M. Sydney Smith s’est donné pour adversaire le sot du temps dans toute la gloire de sa férocité et de son ineptie ; il l’a fait digne de représenter toute la famille. Tel est l’homme qu’il veut convaincre et ramener à des sentimens plus humains. Qu’il doit être malaisé de saper tant de préventions, de frayer un chemin au sens du juste et du vrai dans une intelligence ainsi faussée ! Ce sera l’affaire de dix lettres, mais de dix lettres si gaies, si spirituelles et si raisonnables en même temps, qu’après qu’on les a lues, on s’étonne d’une seule chose, c’est qu’il se soit écroulé un intervalle de plus de vingt années entre la publication de ce généreux pamphlet et l’affranchissement des catholiques. Tant l’éclair de la vérité pénètre avec lenteur jusques au fond des masses !

Depuis quinze ans, l’Angleterre protestante a enfin levé l’interdiction politique et civile qui pesait sur les catholiques ; les raisons alléguées alors en faveur de cette mesure, et que les Lettres de Plymley présentaient sous une forme si vive et si spirituelle, ont perdu leur plus grand intérêt. Il en est une cependant qui me semble avoir conservé toute sa force, si l’on songe aux exigences nouvelles de l’Irlande : C’est le point qui domine toute l’argumentation de M. Sydney Smith à savoir que, dans toute guerre entreprise par l’Angleterre contre une puissance européenne, le mécontentement de l’Irlande compromet la sécurité de l’empire. La situation du continent a bien changé depuis la paix de Tilsitt ; mais n’y a-t-il aucune éventualité de l’avenir à laquelle ne puisse s’appliquer encore ce que M. Sydney Smith écrivait à cette époque ? Loin de nous la pensée de caresser des idées impies d’agression contre un peuple avide autant que nous de repos, et de contribuer à faire envisager avec moins d’éloignement la perspective d’une lutte dont les conséquences seraient toujours funestes ; mais si l’Angleterre