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M. Sydney Smith fait bien de remercier la Providence : ab Jove principium ; mais, après le ciel, c’est à lui-même qu’il doit ce bonheur paisible dont il sent si bien tout le prix. Homme de parti, il a connu sa mission, et il a pu l’accomplir ; homme d’esprit et de caprice, il a su imposer à son talent le drein des principes et des convictions. Sa vie a été pure, son nom est honoré, son ambition satisfaite, et, retiré à temps des luttes de l’opinion publique, il a mis entre la fin de sa carrière et la tombe cet intervalle d’années tranquilles et sereines que tous hommes publics devraient se réserver toujours, afin de ne pas mourir sans s’être connus, ce crépuscule rempli de la contemplation du monde et de soi-même, où, pendant que les nouveaux venus parlent, agissent, se fatiguent et s’égarent On n’a plus autre chose à faire qu’à refeuilleter sans cesse sa conscience et sa vie.

Cette carrière de publiciste, qui commence par le combat éternel de l’homme obscur et pauvre avec sa mauvaise fortune, et que couronne, après trente ans de généreux travaux, un sort digne d’envie, ramène naturellement la pensée vers les autres fondateurs de la Revue d’Edimbourg, aussi inconnus que M. Sydney Smith en 1802. Tous, comme lui, ont réussi à conquérir la réputation et le repos, tous ont su atteindre l’objet de leur légitime ambition, à des distances diverses de leur point de départ, et l’on peut dire d’eux ce que M. de Talleyrand disait d’un homme célèbre de notre temps, qu’ils ne sont point parvenus, mais arrivés. L’un d’eux a été frappé par la mort au moment où s’ouvrait devant lui le plus brillant avenir : treize ans plus tard, Horner, déjà membre du parlement, Horner, dont l’opinion faisait loi déjà dans toutes les questions d’économie financière et politique, serait entré assurément dans le cabinet du comte Grey. L’on sait ce que sont devenus Jeffrey et Murray, aujourd’hui revêtus du titre de lords, qui, en Écosse comme en Angleterre, accompagne les premières fonctions de la magistrature. Quant à Henri Brougham, ce jeune lawyer spirituel et insouciant de 1802, qui hésitait tant à entrer dans l’arène des partis par la porte de la presse, il est aujourd’hui baron de Brougham et Vaux, pair du royaume d’Angleterre, et il s’est assis sur le sac de laine. D’où vient que tous ces jeunes gens ont eu une égale destinée ? Tous étaient-ils donc nés heureux qui se seraient rencontrés par hasard ? Leurs talens, distingués à tous égards, étaient-ils aussi de ceux qui attirent irrésistiblement la lumière ?