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avec Dumarsais, le plus profond de nos grammairiens, que Mlle Lecouvreur acquit la pureté enchanteresse de son articulation. Je citerai un mot du vieux Sarrazin, le prédécesseur de Brizard, parce qu’il peint bien la féroce émulation qui régnait alors : « Viens étudier chez moi, disait-il à un débutant inquiet de la faiblesse de sa voix, et avant peu je te ferai cracher le sang. » Je ne crains pas d’avancer que l’art du tragédien, largement conçu, exige un apprentissage vocal aussi pénible que celui du chanteur. Mme veuve Talma va plus loin, dans un livre estimable qu’elle a écrit sur les Études théâtrales : elle recommande des exercices dont les musciciens conçoivent à peine la possibilité. Je transcris le passage (page 40) : « Que faut-il faire pour rendre l’organe flexible ? L’exercer sans y manquer un seul jour, en parcourant tous les tons, impératifs, plaintifs, douloureux, etc… Il faut, avant tout, parvenir à satisfaire sa propre oreille. Elle doit être assez difficile pour apprécier un ton, un demi-ton, un quart de ton, un demi-quart de ton, et enfin des valeurs qui paraissent idéales aux personnes peu exercées, mais qui sont, pour la diction, de la plus grande importance. Il faut savoir élever ou abaisser sa voix dans toutes les gradations imaginables. » De pareilles études sont si pénibles qu’elles effraient l’imagination ; mais on en tirait anciennement un grand avantage. C’était la facilité de tout peindre par le caractère de la voix, qui permettait à nos anciens acteurs d’économiser le geste. Ils pouvaient arriver ainsi à une simplicité d’action souvent admirable. L’auteur à qui j’ai emprunté quelques détails sur les comédiens anglais, avoue que ses compatriotes étaient surpris de voir nos artistes traduire les plus hardis mouvemens de l’ame sans efforts apparens « Leur principal acteur, dit-il sans le nommer, semble avoir moins d’action qu’aucun des nôtres Il demeure tranquille sur la même ligne, les bras posés gracieusement. Sans remuer un doigt, il emplit la scène de feu et de variété ; il déploie dans cette posture presque immobile tous les changemens de passion qui peuvent étonner, attendrir un cœur sensible. Sans remonter si haut dans la tradition, rappelons-nous que l’auteur des excellens principes que je viens de transcrire, Mme Talma, a renouvelé, par son organe enchanteur, les émotions produites par Mlle Gaussin, la sirène du XVIIIe siècle : c’est Mme Talma qui a inspiré cette expression, restée dans le vocabulaire des théâtres, avoir des larmes dans la voix.

Le mauvais parler provenant presque toujours d’un vice d’habitude, d’une manière défectueuse d’émettre le son ou d’articuler les mots, il est bien rare que le mécanisme vocal ne puisse pas être réformé.