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un art très compliqué. Néanmoins, les critiques semblaient protester contre cet art spécial, en affirmant que toute sensation physique, mouvement, de l’ame amène nécessairement son reste et qu’ainsi il est inutile de s’en occuper isolément : ipsa secum gestus naturaliter fundit oratio, a dit Cicéron. Cette opinion est aujourd’hui celle de presque toutes les écoles dramatiques, et si mes informations sont exactes, les élèves de notre conservatoire ne recevraient d’autres observations, quant au geste, que celles qui sont provoquées incidemment par l’étude des rôles qu’on leur fait apprendre. Ce n’est pas assez faire, selon moi. Je conviens que toute émotion sincère se traduit forcément par une gesticulation instinctive ; mais en est-il de même chez l’auteur, interprète d’un sentiment factice ? Non sans doute, ses gestes, s’il manque d’étude et d’exercice, seront empruntés et menteurs, comme la passion dont il fait spectacle. J’ai pu observer que les élèves, à leurs premiers essais, éprouvent une difficulté extrême à exécuter les mouvemens les plus insignifians : soit timidité, soit gaucherie, ils tiennent leurs bras collés au corps et ne font qu’un bloc de toute leur personne, comme les statues informes de l’enfance de l’art. Rompent-ils le charme qui les pétrifie, c’est pour se jeter dans une gesticulation désordonnée plus désagréable encore. Il est, je le sais, des professeurs particuliers qui tombent dans un inconvénient contraire, en enseignant à leurs élèves une nomenclature méthodique des gestes qui peut suffire, assurent-ils, à la composition de tous les rôles. Entre ceux qui attendent tout de l’inspiration et ceux qui ont le tort de la proscrire, il y a, je crois, une mesure à garder. Le professeur intelligent doit, par la théorie, initier l’élève à la philosophie du langage mimique ; il doit, par une pratique spéciale, assouplir le mécanisme corporel ; mais il importe de faire sentir à l’élève que ces exercices ne sont, pour le geste, que ce qu’est la vocalise pour le développement de la voix, et qu’il faut oublier cette gymnastique en entrant en scène, de même que l’orateur oublie la grammaire en montant à la tribune.

Si la gesticulation est vraiment une sorte de langage, les exercices qui tendent à la régler ne doivent pas être prescrits au hasard. Les études des modernes sur ce sujet sont bien pauvres, comparées à celles des anciens. Appelé à la direction d’une école dramatique, Préville jeta sur le papier quelques notes qui nous sont parvenues. L’Allemand Engel, qui fut, vers le commencement du siècle, directeur du théâtre de Berlin, a écrit, d’après Lessing, des Idées sur le geste, invoquées assez souvent à défaut d’autorités plus respectables. Des Études sur les