Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/312

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

IV – PRATIQUE DE LA SCENE

Il n’est pas rare de rencontrer des artistes qui, après s’être laborieusement exercés, après avoir acquis certaines qualités estimables, restent sans empire sur le public, tandis que d’autres acteurs, sans étude, sans style, doués pour tout mérite d’un vague instinct d’imitation, d’un sans-gêne presque insolent, recueillent sur les scènes inférieures tous les avantages de la célébrité. C’est que, dans les arts d’exécution, mieux vaut un entrain naturel que la raideur disgracieuse d’un talent inachevé. Ce contraste est d’un fâcheux exemple pour les natures incomplètes et vulgaires. Le découragement les saisit au milieu de leurs études : elles accusent les rigides principes au lieu de s’affliger sur leur propre pusillanimité. Elles se jettent avec passion dans l’exagéré et le trivial, et lorsqu’elles ont à leur tour rencontré de ces effets qui secouent la foule grossière, elles se déclarent, avec plus d’emportement que les autres, contre tout ce qui est digne d’une approbation réfléchie. Telle est l’histoire de la plupart des acteurs de nos petits théâtres.


Dans l’art théâtral, on ne devrait jamais se laisser aller au découragement. Cet art diffère des autres en ce que le talent et la réputation s’y accroissent ordinairement avec l’âge. La faculté de se plonger tout entier dans un personnage, de débiter les pensées d’un auteur comme l’expression d’un sentiment réel, ne s’obtient qu’à la longue. Une fois acquise, cette puissance de transformation semble éterniser le talent. Baron à soixante-quinze ans, Préville à soixante-quatorze ans, l’Anglais Macklin à quatre-vingt-quatre ans, jouaient avec tout le feu de la jeunesse. « Il a soixante-cinq ans ; disait Mlle Contat de Molé ; et je ne connais pas un de nos jeunes amoureux pour se jeter comme lui aux genoux d’une femme. » Les dernières années de Monvel, de Talma, de Mlle Mars, leur ont assuré leur réputation impérissable. C’est qu’il faut aux intelligences les plus vives le secours du temps pour amener à point, les créations importantes. Le rôle d’Orosmane était le triomphe de Lekain : ce grand artiste avait plaisir à le jouer souvent ; et cependant il avouait n’avoir dit à son gré qu’une seule fois dans sa vie le « Zaire, vous pleurez ! » Un personnage ne se complète que par une continuité de petites trouvailles, d’imperceptibles détails qu’on s’approprie, quand on a la mémoire de l’accent et du geste, beaucoup plus rare que la mémoire des mots

On dit et je crois que le mécanisme une fois acquis, l’étude la plus