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couleur, de forme, de densité, de mouvement. Que sont-elles alors ? Faute de se décider sur ce point et d’oser ne reconnaître dans les phénomènes organiques que des organes se manifestant diversement, les médecins ont long-temps mérité le reproche de voir tout à la fois dans les facultés de l’intelligence de simples organes, et dans les organes des abstractions, et d’introduire ainsi dans la métaphysique le matérialisme, et l’idéalisme dans la physiologie. Ce n’est pas la moindre des contradictions dans lesquelles l’esprit humain soit tombé. Le préjugé qui admet dans l’homme une double nature est, après tout, moins étrange.

Mais enfin, si puissant qu’il soit, et bien qu’une habitude invétérée ou une inclination naturelle y ramène ceux qui l’avaient condamné au nom de la science, ce peut n’être qu’un préjugé il est possible que la distinction des deux natures doive être abolie, soit ; mais, auparavant, rendons-nous bien raison de cette suppression. Il s’agit d’incarner dans quelques fibres, dont l’aspect est assez uniforme, tous les sentimens, toutes les volontés, bien plus, toutes les innombrables idées qui peuvent se rencontrer dans tous les hommes. Chacune de ces fibres sera susceptible d’une infinité de vibrations, tensions, flexions, mouvemens enfin, qui seront toutes les choses que nous pensons ; car on ne peut dire que, lorsque le cerveau pense, il agit d’une certaine manière, mais toujours la même, comme l’estomac digère toujours de la même façon, quelque substance qu’il digère. De cette façon, la diversité des pensées serait impossible. Il faut de toute nécessité que le cerveau ou tout autre organe pensant ne soit pas, lorsqu’il pense à A, dansle même état que lorsqu’il pense à B ; car A diffère de B, et tous deux n’étant que des pensées, et les pensées que des états, mouvemens ou modifications organiques, tous deux sont représentés par deux phénomènes différens de l’organe ; et comme il y a une infinité de A, de B, de C, etc., il faut que ce télégraphe avec conscience, qu’on appelle organe pensant, ait une infinité de signes, actuels ou possibles, qui correspondent à chacune des idées actuelles ou possibles qu’il peut avoir à s’exprimer à lui-même. Ne nous parlez plus de fonctions intellectuelles organiques qui s’appliqueraient à tout, comme le poumon à tous les gaz, ou l’estomac à tous les alimens. Ne prétendez pas que la diversité des objets sentis est donnée par l’extérieur, et que la machine sensitive les absorbe tous, comme un moulin broie tous les grains. Les sensations sont modifiées et converties en idées par l’organe pensant, et ainsi converties, elles sont, suivant les physiologistes, non des objets distincts, positifs et réels, comme les