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dans les villes en criant : « Les Maures à la côte (hay Moros en la costa) ! ’ » - C’est un chapitre de mœurs marocaines inconnu encore à l’Europe et sur lequel nous voulons insister pour montrer que, vis-à-vis des puissances barbaresques nous, ne sommes pas si loin du moyen-âge que nous le pourrions croire. Depuis que la civilisation du christianisme a décidément prévalu sur le régime de l’islam, c’est dans le midi du Maroc, dans les districts confinant au désert, que subsiste l’esclavage des chrétiens ; on pourrait dire que cet esclavage se recrute de la façon la plus régulière au sud de Mogador, à une distance de cinq ou six jours de marche tout au plus Les malheureux qui le subissent sont pour la plupart des marins naufragés, des pêcheurs de l’archipel des Canaries. Le nombre des captifs, il est tout-à-fait impossible qu’on le sache, les points les plus rapprochés de Mogador, Wadnoon et Lous par exemple, étant pour l’Europe entière un livre complètement fermé. C’est un devoir de religion scrupuleusement observé par les habitans de ce pays, de ne point laisser pénétrer jusqu’à eux les chrétiens, bien que des frontières du Grand-Désert ils viennent eux-mêmes trafiquer jusqu’à Mogador. Le peu qu’on sait des chrétiens qu’ils ont réduits en esclavage, on n’a pu l’apprendre que d’un très petit nombre de captifs parvenus à rompre leurs chaînes, ou dont les maîtres avares ont enfin accepté la rançon, encore ne peuvent-ils presque rien dire des compagnons d’infortune qu’ils laissent chez les barabares : les uns périssent misérablement sur les côtes, c’est la faim qui les tue ou la peste ; les autres vont se perdre, à la suite de leurs maîtres, parmi les tribus du Grand-Désert, et le Grand-Désert ne les : rend jamais.

Autrefois, quand les vaisseaux européens s’aventuraient dans le canal des îles Canaries, non loin des côtes de Wadnoon, plusieurs échouaient, et les équipages avaient à choisir entre la mort et la servitude. Depuis long-temps, les navigateurs ont reconnu à quels écueils ils allaient se briser dans ces parages : ils passent maintenant à l’ouest des Canaries, et de naufrages à déplorer, mais les pauvres pêcheurs des Canaries sont encore obligés d’aller chercher dans le canal leur subsistance précaire. Malheur eux s’ils viennent à être surpris par le calme ! ils n’ont plus alors qu’à se coucher sur leurs filets jusqu’à ce qu’ils aient expiré de besoin et d’épuisement. Malheur à eux surtout si les vents violens qui brusquement s’élèvent dans ces mers capricieuses les jettent sur les côtes de Barbarie ! la mort serait préférable au sort qui les y attend. Dès que les Maures s’en sont emparés, ils affectent d’abord de compatir à leur misère, pour découvrir s’ils sont en état d’exercer un métier dont leurs hôtes, ou plutôt leurs maîtres, puissent tirer quelque profit. Si en effet ces derniers peuvent exploiter leur force ou leur adresse, c’est en fait, pour la vie de leur liberté ; on les interne immédiatement dans l’Afrique, bien loin par-delà le désert. S’il sont impuissans à faire œuvre de leurs mains, on se résout quelquefois à les vendre à quelque Juif plus avide encore, qui à son tour les livre, moyennant une forte rançon, aux agens des vice-consuls de Mogador. C’est là un cas extrêmement