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porté dans la pensée. » Cela doit être, puisqu’il est convenu que l’homme vivant a besoin du cerveau pour penser, et que l’ame, si elle existe, est enchaînée au corps. La solidarité entre l’état du cerveau et l’état intellectuel et moral est donc un fait naturel. Bien plus, comme le cerveau, en qualité d’organe central, est lié par de délicates sympathies avec tous les autres organes, un certain degré de dépendance de l’être intellectuel et moral par rapport à l’état accidentel des organes est une conséquence naturelle de cette solidarité incontestée mais cette solidarité reste le fait même qu’il s’agit d’expliquer, c’est la question à résoudre. Le matérialisme retranche la question et change l’hypothèse pour éviter t’embarras de s’y placer. Une difficulté niée n’est pas détruite.

Ainsi tous les faits cités ne reviennent à prouver qu’une chose, un rapport constant et divers, quoique plus ou moins direct, entre le phénomène physique et le phénomène moral. Mais quel rapport ? Rapport d’action et de passion, rapport de cause et d’effet, ou rapport d’identité, ce qui serait la suppression du rapport lui-même. Voilà la question. Or, pour se décider en faveur de l’identité, Cabanis a oublié de donner au moins une seule raison. De ce qu’une chose vient après une autre, il ne suit pas qu’elle soit la même. De ce qu’une chose est l’effet d’une autre, il ne s’ensuit pas qu’elle soit identique avec celle-ci. De ce qu’un fait se passe en un point, parce qu’un autre fait en un certain rapport avec lui s’est passé dans un autre point, il ne s’ensuit pas qu’il soit le même fait. Pour prouver l’identité, il faudrait ou en fournir une preuve directe et expérimentale, soit démontrer, qu’il ne peut y avoir rapport de causalité ou d’influence, commerce enfin, entre des êtres qui ne sont pas de même nature. Or, la première preuve n’est pas fournie, et elle ne peut l’être. Il est impossible de montrer à l’expérience une pensée dans un organe, ni même un organe opérant pour la produire. En vain dites-vous résolument que le cerveau sécrète la pensée, comme on dit que le foie sécrète la bile. Je vois la bile et le foie, et quand même je ne verrais pas le foie en action, ce qui n’est pas matériellement impossible, j’établis, par une induction légitime, un rapport de cause à effet entre le foie et la bile ; mais dans le cerveau je ne vois que le cerveau, jamais je ne le vois pensant ; je ne le vois que figuré, coloré ou mu ; je n’y puis apercevoir ni supposer que de la forme, de la couleur et du mouvement. La pensée, soit comme opération productive, soit comme produit de l’opération, aucune observation ne me la peut montrer. C’est une affirmation gratuite que celle-ci : le cerveau pense, à moins qu’on ne s’appuie sur l’autre