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réserve pour la pratique. Toutefois plus d’un esprit qui ne sait que penser le garde intérieurement pour y recourir au besoin, comme quelque chose de clair et de palpable, comme le refuge qui reste au bon sens après les aventures de la spéculation. On affiche les opinions contraires, ainsi qu’on se vante d’avoir des illusions, et ce n’est nullement là le caractère d’une solide croyance. Exigeons davantage pour les principes lui fondent la dignité de l’homme et sa meilleure espérance, et ne négligeons aucune occasion de montrer que les conceptions gratuites, les hypothèses hasardées sont du côté des doctrines les plus répugnantes, et que la raison, en métaphysique connue en toutes choses, est du plus noble parti.

Ces paroles paraîtraient sévères pour Cabanis si nous en restions là, et cette sévérité serait injuste. Rappelons toujours que nous n’avons considéré dans son ouvrage qu’un point de vue : ce point de vue y domine ; mais il y en a d’autres, et l’auteur est moins absolu que nous ne l’avons fait. Une analyse est toujours plus systématique que le livre qu’elle résume, et pour peu qu’on prête de méthode et d’exactitude à Cabanis, on le défigure ; on le rend plus net, mais plus étroit. Cet esprit ingénieux et facile ne procède guère que par aperçus, et néglige les formes sévères, soit de la logique, soit de l’expérience. Il y a des variations dans son langage et de l’inconsistance dans ses idées, et l’on entrevoit que, si quelques principes fort connus n’étaient pour son époque et son école des articles de foi, il aurait bien pu s’en éloigner pour son compte, et qu’une sorte de sagacité flottante l’entraîne au-delà du cercle où ses contemporains l’ont enfermé. M. Peisse a parfaitement caractérisé chez Cabanis une indécision qui nuit à son livre, mais honore son esprit, dont elle prouve l’étendue, sinon la fermeté. Nous l’avons, nous, circonscrit dans une seule question ; mais il n’était pas étranger aux questions plus générales qui se rattachent à l’origine du principe pensant ou touchent à la nature même des choses. Dans cette sphère plus vaste et plus élevée, ses idées ont peut-être encore moins de liaison et de clarté, rien n’est approfondi ni déduit ; cependant, comme l’a remarqué déjà Frédéric Berard, elles paraissent porter bien au-delà des inductions secondaires d’un naturalisme expérimental, et mener à une doctrine spéculative d’un caractère bien différent. De même que nous l’avons vu réduire la sensibilité à une propriété vague qu’il place avant la conscience dans l’ordre psychologique et avant l’irritabilité dans l’ordre physiologique, il n’admet entre les phénomènes les plus saillans du moi et les plus obscurs de l’organisme qu’une différence de vivacité, de clarté, d’intensité, de sorte qu’il ne