Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/383

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais libre et dégagée de toute solidarité dans l’acte de courtoisie qu’il venait accomplir, de même aussi l’Angleterre, en fêtant son hôte illustre, n’a fêté que lui seul. L’Angleterre elle-même n’a pas voulu qu’on s’y trompât. Lisez les feuilles de Londres, vous verrez avec quel soin le roi des Français dans les magnifiques éloges qui lui sont adressés, est séparé de sa nation. Dans les adresses des municipalités, quelques paroles indiquent une intention semblable. Enfin, quoi de plus significatif à cet égard que les récriminations violentes des principaux organes de la presse britannique au sujet des derniers évènemens de Taïti ! Dans le moment même où le roi partait pour l’Angleterre, des écrivains anglais ont osé donner à nos marins de l’Océanie le nom d’assassins, pour avoir livré le 17 avril un combat meurtrier à des indigènes qu’un fanatisme barbare et les encouragemens avoués de la marine anglaise avaient soulevés contre nous ! De telles attaques, dans un pareil moment ; ne prouvent-elles pas que la visite du roi n’a pas changé les sentimens du peuple, anglais à l’égard de la France ?

Ne perdons pas de vue l’alliance anglaise : employons, pour la rétablir, tous les moyens que permettent la dignité et la prudence ; mais ne cherchons pas à la provoquer par un empressement maladroit et par des exagérations qui ne trompent personne. Ce système a échoué depuis quatre ans ; il est usé aujourd’hui. Nous regrettons de voir que la presse ministérielle n’y ait pas encore renoncé.

Ce n’est pas tout. La presse ministérielle commet une autre faute non moins grave dans sa discussion sur le voyage de Windsor. Elle fait de ce voyage un triomphe pour le cabinet. C’est le plus sûr moyen de rendre la démarche du roi impopulaire et de compromettre le succès qu’on en attend. Comment ne voit-on pas que si quelqu’un est intéressé à s’effacer dans cette question, c’est le ministère ? Qu’a fait M Guizot pour qu’on le couvre de gloire à l’occasion du voyage de Windsor ? Il a failli rendre ce voyage impossible, et il en a diminué le caractère par la situation où ses fautes ont placé la France. Sans lui, sans sa politique imprudente, sans les embarras qu’elle a créées dans l’Océanie, sans l’irritation qu’elle a jetée entre les deux peuples, sans les concessions qu’elle a entraînées à sa suite, concessions si lourdes et si stériles, sans cette paix du Maroc, œuvre de précipitation ou de complaisance, qui a mis en danger les intérêts de la France, le voyage du roi en Angleterre aurait pris un tout autre aspect. La nation aurait pu s’associer librement aux vœux, aux espérances, aux sympathies de son représentant couronné. L’Angleterre, en accueillant le roi, n’eût pas écarté la France. Nous aurions vu des dispositions franchement amicales entre les deux pays, au lieu de cette situation équivoque qui n’aurait pas permis au roi de débarquer en Angleterre sans l’éclat récent des victoires de notre flotte et de notre armée. Le canon de Tanger et de Mogador, la bataille d’Isly, voilà ce qui a permis au roi d’aller à Windsor. Si son voyage amène des résultats utiles, la France les devra d’abord au prince de Joinville et au maréchal Bugeaud.