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même de son teint semble ne pouvoir résister aux rayons du soleil. Brillant de l’éclat de la neige, elle est molle et pesante comme elle. Son regard humide exprime le plaisir, mais non la passion de la vie. Quelle différence entre ce pied charnu qui se pose indécis et lent, et le pied de la beauté grecque, aux mouvemens si vifs, si précis, qui marche sans peser sur la terre ! Ces Junons moscovites, mises en regard des Vénus de l’Archipel, semblent à peine être du même sexe. Qui refusera cependant aux femmes russes les plus nobles qualités, de l’épouse et de la mère, une douce égalité d’humeur, un caractère supérieur, et la plupart des vertus qui caractérisent la Grecque ?

Regardez-y de près, sous le voile funèbre de la nature hyperboréenne, vous reconnaissez de toutes parts les caractères ineffaçables du monde hellénique. Entre ces contrées si diverses, vous découvrirez des harmonies secrètes et les liens d’une parenté primitive ; il vous sera révélé pourquoi les Russes sont Orientaux, pourquoi ils tendent au Bosphore, pourquoi ils sont de rite grec plutôt que de rite latin ; et vous avouerez alors que le monde gréco-slave a été créé un et indivisible. C’est surtout durant l’hiver qu’on est frappé de cette physionomie hellénique de la Russie. Quand le froid a bien pris possession de la nature, quand il a condensé les brouillards et fait tomber en neige les derniers nuages, alors tout change d’aspect : le ciel se revêt d’un azur magnifique ; le voyageur, dont le regard était borné naguère à un étroit horizon, découvre avec étonnement des perspectives si lointaines et si pures, qu’il se rappelle Athènes et Smyrne, et peut se croire un moment transporté aux régions de la lumière. Tout ce qui caractérise les horizons grecs au printemps et en été se reproduit en hiver, presque avec le même éclat, sous le ciel russe. C’est sous la glace et la neige le même calme grandiose de la nature, le même silence des forêts, le même repos de la vie animale, la même simplicité homérique dans les rapports sociaux : partout cet air de méditation profonde et de mélancolie rêveuse qu’on admire chez les Hellènes du sud. Il n’est pas jusqu’aux aurores boréales qui, par la féerie de leur illumination, ne fassent souvenir des soleils couchans du mont Athos et de l’Olympe.

Un voyage d’hiver dans la polé ou les steppes offre des scènes analogues à celles des déserts de l’Arabie ; seulement, au lieu du sable, c’est la neige qui étincelle à vos yeux, et répercute de toutes parts la clarté d’un ciel d’azur. Ces immenses forêts de la Pologne et des Kosaquies, où l’on voyage des jours entiers sans voir remuer le plus mince rameau, sans entendre soupirer le plus léger bruit, où chaque