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où ils ont émigré par milliers et remplissent des cités entières. Réduit peut-être au dixième de ce qu’il était dans l’antiquité, le peuple grec a du moins l’avantage d’être resté le seul habitant de ses principaux foyers et le cultivateur fidèle des champs où vivaient ses aïeux. Les provinces grecques ont pu être dévastées, et les populations renouvelées cent fois par les barbares ; il est cependant toujours resté assez d’Hellènes pour protester contre la conquête, continuer le règne moral de la race indigène, et fondre en eux-mêmes toutes les colonies étrangères venues pour les remplacer. Si l’on mesurait le territoire où les Grecs forment encore la majorité de la population, l’Archipel, les îles Ioniennes, la Morée, la Romélie, le littoral de l’Asie mineure, on trouverait que ce territoire est fait pour une nation d’au moins trente millions d’individus. Avec l’aide du temps, la nature ne peut manquer de réaliser un jour, pour les pays grecs, ce nombre d’habitans ; mais, réduisit-on ce chiffre de moitié, on aurait encore une nation imposante.

De frivoles touristes vont répétant que la Grèce est morte, que les anciens Hellènes ne peuvent renaître, que le Grec moderne est un barbare. Ce sont là des jugemens sans base. Si l’on se donnait la peine de sonder le fond de la nature grecque, on verrait entre la Grèce ancienne et la Grèce actuelle moins de différences que d’analogies. Je dirai plus, le génie grec a gardé, avec ses antiques défauts, toutes les qualités qui firent sa gloire. Les plus nobles types de héros et de citoyens des âges classiques se retrouvent parmi les chefs populaires de l’Hellade. Il n’y a pas jusqu’à la beauté physique qui ne se soit conservée sans altération. Les Thésées, les Apollons, toutes les statues, tous les idéals célèbres de nos musées vivent encore dans ces îles et les plus spirituels du monde. La Grecque elle-même n’a rien perdu de cette beauté à la fois céleste et terrestre, de cette grace enivrante et chaste, dont Praxitèle donna au marbre l’impérissable empreinte.

Le dédain affecté des touristes ne fait tort qu’à eux-mêmes ; il est d’autres assertions qu’il faut discuter plus sérieusement, car elles trahissent la pensée secrète d’une politique envahissante. La slavisation des Grecs modernes a beaucoup préoccupé les publicistes russes et les écrivains allemands dévoués à la Russie. Il est un fait qu’on pourrait soutenir avec la même apparence d’impartialité : c’est l’hellénisation des Slaves. D’où émanent toutes les antiques institutions slavonnes, sinon de Byzance ? d’où les provinces slaves de Turquie tirent-elles