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place des états et une civilisation plus dignes de l’Orient. Il préparait cette grande entreprise quand la fortune, lassée de lui obéir, le lança malgré lui contre l’empire du tsar. Après la chute de Napoléon, l’Illyrie retourna à ses anciens maîtres : la rouerie administrative de l’Autriche releva toutes les petites divisions, toutes les petites frontières qui parquent ses différens états, et la Grande-Illyrie, quoique en restant royaume, fut restreinte à deux provinces, qui ont pour chefs-lieux Trieste et Laibach. Toutefois, ceux des Illyriens qui se trouvaient exclus de ce royaume ne cessèrent pas pour cela de se regarder comme enfans de l’Illyrie. Fidèles à l’idée de Napoléon, ils l’ont développée de plus en plus, et aujourd’hui c’est la race entière des Iugo-Slaves (Slaves du sud) qui se désigne politiquement sous le nom générique d’Illyriens.

Le centre du mouvement illyrique est la Croatie. Ne comptant pas plus de 800,000 individus, le peuple croate ne mériterait de la part de l’Europe qu’une médiocre attention, s’il n’était pas l’avant-garde avouée d’un corps de bataille formé par des millions d’hommes. Parmi ces populations asservies, dont la Croatie presque libre s’est faite l’organe politique, il faut nommer surtout les Ilires ou Sloventsi qui habitent l’Istrie, toute la Carniole, le littoral maritime hongrois, et qui, sous le nom de Vendes ou Venedes, remplissent les environs de Venise et de Trieste, une partie du Frioul, de la Carinthie et de la Styrie. Leur nombre est d’à peu près 1,200,000. Ilires et Croates réunis forment donc 2 millions d’hommes ; mais, placés immédiatement sous la police autrichienne, les Ilires ne peuvent se mouvoir ni s’exprimer aussi librement que les Croates, qui forment en Hongrie un royaume à part ou plutôt une espèce de république avec les droits municipaux les plus étendus.

Plus libre encore que les Croates s’élève au milieu de l’Illyrie le peuple serbe, dont une partie est déjà entièrement indépendante sous un prince de son sang qu’elle s’est choisie elle-même. Ces Serbes qui forment, parmi les Slaves du sud, la branche la plus nombreuse et la mieux douée, la branche en quelque sorte royale, sont au nombre de 5,300,000, ont 2,600,000 sous le sceptre autrichien, et le reste en Turquie. La force numérique des Serbo-Illyriens s’élève donc à 7,300,000 individus. La nation serbe, déjà considérable, peut regarder comme son annexe naturelle la nation bulgare, dont la langue diffère si peu du serbe, que les deux peuples se comprennent réciproquement en parlant chacun son idiome. Les rayas de langue bulgare sont évalués à quatre millions et demi. Ainsi la population slave de