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garantis à perpétuité : qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Le souvenir ; mais ce souvenir ne périra pas chez les fils de la steppe, toujours libres au fond du cœur.

Les tribus kosaques se confondent politiquement avec le peuple malo-russe, dont elles sont comme l’expression militaire. Les Malo-Russes ou Russes rouges, qui se nomment dans leur langue Russines ou Russniaques, s’élèvent à 13,150,000 ames, dont 2,774,000 en Autriche. Ils habitent presque toute la Russie méridionale. On rencontre dans leurs villages quantité de Polonais, auxquels appartiennent la plupart des châteaux, et leurs villes sont remplies de Grecs qui s’y trouvent établis de temps immémorial pour y faire le commerce. Ainsi les deux peuples gréco-slaves les plus avides d’indépendance nationale, les Hellènes et les Polonais, se rencontrent au foyer hospitalier du Kosaque, et les trois opprimés peuvent conspirer ensemble sur les moyens de réduire à ses limites naturelles cette Russie-Noire, qui est devenue toute la Russie et menace de devenir le monde.

Placé entre les chrétiens de la Turquie et les Moscovites, entre les Tatars et les Polonais, le Russniaque par sa position peut servir d’intermédiaire à tous les peuples gréco-slaves. Devenu agriculteur en Ukraine, en Volhynie, en Podolie, il a subi, à la vérité, dans ces provinces le joug de la glèbe ; mais sur le Don, le Volga et la mer Noire, il a gardé son caractère primitif, sa nature indomptée et ses goûts nomades, qui en font l’Arabe du monde slave. Ces fils libres de la steppe, ces Slaves d’Asie sont encore aujourd’hui ce qu’étaient leurs aïeux, les confédérés de la Pologne. Ils forment la partie mouvante, révolutionnaire de l’empire, et ils ne désespèrent point de reconquérir un jour les droits dont on les a frustrés. Leur langue, l’idiome russniaque, est, conformément à la nature du peuple qui la parle, une espèce de moyen terme entre les dialectes slaves de la Turquie et la langue russe. Cet idiome offre surtout d’étonnans rapports avec le serbe. Ainsi, même par sa langue, ce peuple tend vers les Slaves libres.

Si le tsar peut se vanter d’avoir sous ses ordres la plus nombreuse armée du globe, si elle atteint presque l’effectif d’un million et demi de combattans, il en est redevable aux goûts belliqueux des Kosaques, pour qui la vie sous le drapeau est un besoin ; mais une grande partie de ces guerriers, dans une lutte entre les nations slaves, ne soutiendrait pas le tsar : elle profiterait de l’occasion favorable pour rendre aux différentes kosaquies les privilèges et la liberté dont elles ont été dépouillées. On conçoit maintenant que les patriotes de Pologne se confient dans l’avenir, puisqu’ils peuvent gagner leur cause plus de