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avec la compagnie anglaise du nord-ouest, réunie à celle de la baie d’Hudson, qui font de grands sacrifices pour séduire les tribus indiennes et attirer à elles tout le commerce d’échange. Jusqu’à ce jour, la compagnie américaine a soutenu la lutte avec avantage sur ce dernier point. Ses forts servent de points de ralliement aux diverses tribus du centre de l’Amérique du Nord ; ses employés et ses agens entretiennent avec elles, et souvent au prix de leur vie, des relations non interrompues. Mais ce qui assure la prépondérance de la compagnie américaine, c’est la navigation du Missouri, que ses bateaux à vapeur remontent jusqu’au Fort-Union, au confluent de la rivière Yellow-Stone (la Roche-Jaune), c’est-à-dire sur une étendue de près de 2,000 milles, et qui est praticable pour les bateaux plats appelés keel-boats jusqu’au fort Mackenzie, peu de distance des Montagnes Rocheuses. Le prince Maximilien avait obtenu un passage sur un des pyroscaphes de la compagnie, qui s’appelait le Yellow-Stone par l’entremise de M. Pierre Chouteau, qui dirige les affaires de la compagnie à Saint-Louis, et de M. Mackenzie, qui réside sur le haut Missouri. Ce dernier se proposait de se rendre par le même pyroscaphe au Fort-Union, à l’embouchure du Yellow-Stone.

L’équipage du Yellow-Stone se composait de cent personnes environ, quand il partit de Saint-Louis, le 10 avril, pour remonter le Missouri. Un grand nombre de passagers étaient des engagés de la compagnie de pelleteries. Ces engagés, la plupart originaires du Canada, sont armés jusqu’aux dents et forment une race d’hommes vigoureux, résolus et à demi sauvages. C’est la transition des back-woodsmen aux races aborigènes. Accoutumés aux privations, ils savent au besoin vivre en compagnie de l’Indien, couchant comme lui sur la dure et ne vivant que du produit de leur chasse. Ils portent à la ceinture un large couteau, comme les guerriers indigènes ; ils ont comme eux le sac à plomb et le cornet à poudre attachés par-dessus l’épaule à une courroie, et ne quittent jamais leur fusil. Leurs mœurs participent de la férocité des mœurs indiennes. Un des engagés embarqués sur le Yellow-Stone portait à sa ceinture le scalp ou la peau du crâne d’un Indien Pied-Noir qu’il avait tué d’un coup de fusil et scalpée de sa propre main. Au moment du départ, ces engagés et les gens de l’équipage, échauffés par de copieuses libations de whiskey, firent un feu roulant de leurs fusils, qu’ils renouvelèrent quand le bâtiment quitta le Mississipi pour remonter les eaux jaunes du Missouri, dont le cours est bien autrement considérable, et qui cependant, au-dessous du confluent des deux rivières, perd à la fois son caractère et son nom.