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pensées sur le christianisme. M. Droz se souvent encore qu’il a écrit autrefois l’Art d’être heureux, et il n’établit pas, comme le méthodisme, des fourches caudines sous lesquelles tous les fronts doivent se courber. C’est un écrivain plein de sagesse, de modération, dont le petit livre, sans être profond ni bien neuf, est plein d’attrait, et a été écrit sous un ciel pur, devant de larges horizons, non à une fenêtre qui donne sur une rue étroite de Genève. J’oubliais de dire que la nouvelle de Mme de Gasparin est intitulée : Allons faire fortune à Paris. On comprend combien un tel livre pourrait être utile, ne sauvât-il du danger qu’une personne, n’empêchât-il qu’un seul nom d’être ajouté à cette liste funèbre qui commence à Malfilâtre et où un nom nouveau vient d’être inscrit récemment : Marie-Laure.

Une jeune fille quitte sa mère et son village, et parce qu’elle a entrevu, par une matinée de printemps, ou une soirée d’automne, un pan de la robe flottante de la poésie, elle se croit appelée à la gloire et vient à Paris avec une grande espérance au cœur, quelques vers dans son sac à ouvrage, et un peu d’argent dans sa bourse. Elle se loge dans une petite chambre, vit de peu, écrit beaucoup, noircit page sur page, en prose, en vers. Si elle sort, c’est pour courir d’éditeur en éditeur, de journal en journal ; mais elle ne rencontre que des mécomptes et rentre triste d’abord, et plus tard désespérée. Quelquefois cependant, comme elle a l’imagination ardente, et que, si elle est prompte à l’abattement, elle est prompte à l’espérance, au moindre bon accueil, à la moindre bienveillante parole, elle est heureuse, presque transportée, et la mansarde voit rentrer l’essaim des illusions. Joie de courte durée ! les semaines passent, les mois, l’année, et, rien ne vient, ni argent ni gloire : l’éditeur est sourd, le journal n’a pas de place ; au lieu de l’argent, c’est la maladie qui arrive ; au lieu de la gloire, c’est le désespoir. La jeune fille n’y tient plus, la muse d’ailleurs s’est déjà envolée, et Marie-Laure, mourante ; quitte Paris et va retrouver sa mère pour mourir dans ses bras. — Allons faire fortune à Paris ! .

Marie-Laure est une sœur d’Elisa Mercœur, et son recueil publie après sa mort annonce un talent sans force, non sans glace, mais je n’ose toucher à ces vers gracieux et maladifs éclos dans une mansarde, tracés d’une main que la souffrance affaiblissait et que le triste pressentiment d’une fin prochaine poussait en avant. J’aime mieux m’adresser à l’œuvre poétique d’un homme de loisir, d’un heureux du monde, de M. Ulric Guttinguer, qui, ayant beaucoup rimé autrefois en faisant l’amour, continué aujourd’hui un peu par vocation, un peu par habitude. Les deux Ages du Poète sont les œuvres complètes de M. Guttinguer ; les œuvres complètes ont cela de bon que pour peu qu’on soit curieux de noter les transformations qui s’opèrent dans une imagination et dans un cœur avec les années, l’examen est facile. Les uns deviennent graves à mesure qu’ils s’avancent dans la vie : ils prennent au sérieux peu à peu ce que d’abord ils regardaient en riant ; les autres au contraire rajeunissent avec les années et se dissipent en vieillissant. Il y en a qui sont