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tout d’une pièce et ne se transforment pas le moins du monde ; mais l’auteur d’Arthur s’est transformé, et je dois dire avec regret qu’il n’a pas gagné en gravité. On se souvient que, lorsque M. Ulric Guttinguer publia Arthur, une haute bienveillance lui donna asile dans une des niches dorées de ce gracieux monument de critique littéraire qui a été élevé ici même d’une main si délicate et si sûre. A-t-il toujours fait bonne contenance depuis ce temps-là ?

La poésie de M. Guttinguer est une poésie de reflet, ce qui nous aurait autorisé, à lui donner une place dans nos poetae minores, comme il semblait le prévoir déjà ; mais j’ai lu dans une lettre de Machiavel un passage qui me fait réfléchir et va me rendre bien circonspect : « Je prends mes petits poètes, Catulle, Ovide, Tibulle. » Mes petits poètes ! vous l’entendez. Tibulle, un petit poète, poeta minor ; me voilà bien embarrassé, car je ne sais plus lequel de nos contemporains mérite, le nom de petit poète. Eh bien ! n’importe, que M. Guttinguer le prenne pour lui, et qu’il m’en sache gré au moins ; qu’il n’aille pas me traiter comme il a traité M. Delatouche.

Avec le sourire sur les lèvres, M. Guttinguer a des ongles sous ses gants, et ses vers nonchalans ont plus d’une épine. M. Delatouche avait pris un épigramme de Millevoye et en avait fait un vers assez heureux :

Publiez-les, vos vers, et qu’on n’en parle plus.

Le vers courut la ville, il eut une fortune sans pareille, et tout le monde le sut par cœur. M. Guttinguer le mit à son chapeau comme un ruban ; mais les petites dettes entre amis se paient tôt ou tard, et l’auteur des Deux Ages a pris sa revanche.

Publiez-les, vos vers, et qu’on n’en parle plus.

Ainsi commence une épître qui finit ainsi :

J’ai pu, cédant trop vite à de trompeurs penchans,
Faire de méchans vers, jamais des vers méchans.

Qui donc a fait des vers méchans ? – Il y a aussi ce vers qui a été remarqué :

En ce temps d’envieux, je marche exempt d’envie.

Qui donc est envieux ? Ce n’est pas M. Guttinguer, je le reconnais. Dans sa poésie, malgré ses défauts, ses prétentions, on sent un cœur honnête, et l’on regrette d’autant plus qu’il ne se réfugie pas dans un travail sérieux, au lieu de s’émietter en bagatelles. Au reste, il doit se sentir gêné ; il n’est pas à sa place. Arthur passant du sanctuaire au feuilleton me produit l’effet d’un séminariste qui se mêle à une émeute.

Le théâtre, depuis long-temps sans mouvement, sans vie, a paru se ranimer ces jours derniers. Thalie a eu deux figures, comme Janus ; la comédie