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de l’Afrique aux villes du littoral. La plus nombreuse est sans aucun doute celle du Maroc qui, avant notre conquête, côtoyait de l’ouest à l’est les versans de l’Atlas et les frontières du désert., traversait l’Algérie par la gorge des Oua nascherichs et Ta vallée de Sétif s’engageait, pour aboutir à Constantine et puis à Tunis, dans le fameux défilé des Portes-de-Fer, suivait jusqu’à Tripoli les bords du golfe de Kabès, et de là pénétrait enfin par les sables de Barca dans les immenses déserts de la Libye. Arrivées là, les six caravanes, venues par divers chemins de tous les pays musulmans, formaient une sorte d’armée tumultueuse de quatre à cinq mille personnes de tout âge et de tout sexe. Depuis que nous avons pris possession de l’Algérie, les caravanes du Maroc ont changé leur itinéraire, aujourd’hui, c’est par mer qu’elles se rendent au point indiqué pour le rendez-vous général. Les grandes caravanes pénètrent dans le Soudan jusqu’à Tombouctou, Kanou et Noufi, qui sont les trois marchés principaux du pays des noirs, elles en rapportent des nègres ; de la poudre d’or, des noix de gourou, des plumes d’autruche, des peaux de buffle, des dents d’éléphant, une espèce de toile verte fabriquée par les noirs, du séné, du natron, des cornes de rhinocéros, de l’encens, de l’indigo, des diamans et un parfum très recherché qui se nomme le bhour noir on la gomme du Soudan. Un officier du génie, membre de la commission scientifique de l’Algérie, M. E. Carette, qui dans un récent écrit a très nettement tracé l’itinéraire que suivent non-seulement les grandes caravanes du Maroc, mais celles de l’Algérie et de la régence de Tunis, paraît croire qu’elles ne franchissent point le Niger. Il est possible, en effet, qu’elles s’arrêtent à la rive gauche du fleuve, mais faut-il en conclure qu’elles n’ont aucunes relations avec les sauvages populations de la rive droite. Nous pensons le contraire, et dans le livre de don Serafin Calderon nous trouvons un fait bizarre qui de tout point autorise notre opinion. M Calderon raconte que les Maures ou les Arabes, quand ils sont arrivés à la rive gauche du Niger, déposent sur une colline des marchandises qu’ils désirent vendre aux nègres établis par delà le fleuve. En leur absence, les nègres viennent examiner les marchandises, ils placent à côté la quantité de poudre d’or qu’ils en veulent donner et rentrent dans leurs canots. Si les Maures trouvent qu’on leur offre un prix convenable, ils emportent la poudre d’or ; dans le cas contraire, ils reprennent leurs marchandises. Durant trois jours, vendeurs et acheteurs répètent ce curieux manége, et il est rare qu’avant la fin ils ne parviennent point à s’accorder.

A les voir ainsi ces rares maures et arabes ; s’aventurer au fond de l’Afrique pour opérer de simples échanges, en dépit des périls et des fatigues qui les déciment, on comprend bien qu’il ne faut point désespérer de leur avenir. A quel degré de prospérité ne seraient-elles pas capables d’arriver encore, si la civilisation européenne pouvait librement développer chez elles ces énergiques instincts sociaux dont une barbarie séculaire, un despotisme énervant et oppressif n’ont pas eu tout-à-fait raison ? C’est l’esprit, ou pour