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M. Martinez de la Rosa est un homme de bonne foi ; de tous ceux qui l’ont pu connaître, il n’en est pas un qui, sous ce rapport, ne lui rende justice. Il était de bonne foi en 1814, quand ses démonstrations vraiment libérales lui valurent une condamnation aux présides d’Afrique ; en juillet 1822, quand sans le savoir, il seconda les plans réactionnaires du roi Ferdinand VII ; en 1834, quand il octroya à l’Espagne le timide et incomplet estatuto real en décembre 1837, le jour où il déclara, dans les premières cortès élues en vertu de la charte qu’on va refondre, que, s’il n’avait point voté cette charte, il pouvait du moins affirmer qu’on l’avait faite avec ses idées. Maintenant enfin qu’il propose de remanier la constitution de 1837, M. Martinez de la Rosa, nous en sommes pleinement convaincus, est animé des meilleures intentions. Les imprudences de M. Martinez de la Rosa ont pour cause l’exagération d’un principe auquel nous-mêmes nous sommes profondément dévoués. Le membre dirigeant du cabinet de Madrid s’imagine qu’à l’époque où nous sommes, il faut avant tout se préoccuper de donner le plus de force possible au pouvoir monarchique ; c’est pour cela sans doute qu’il se croit autorisé à changer, non pas précisément d’opinion, mais de langage, selon que changent les circonstances. En 1837, à la constitution de 1812, proclamée par une soldatesque en délire, il préférait tout naturellement la charte mais pour M. Martinez de la Rosa les préférences varient suivant les termes de comparaison. Aujourd’hui, en sacrifiant la constitution de 1837 à une loi fondamentale beaucoup moins avancée, il ne croit pas, nous en sommes sûrs, se montrer inconséquent. M. Martinez de la Rosa est de ceux qui pensent que le roi Philippe V ayant très illégitimement introduit la loi salique en Espagne, le roi Ferdinand VII la pouvait très légitimement abolir, et que, par cette raison, la vraie, la légitime souveraine de l’Espagne, c’est la reine Isabelle, à l’exclusion formelle de l’infant don Carlos. M. Martinez de la Rosa se trompe : ce n’est pas la pragmatique de Ferdinand VII, mais bien la révolution de 1833 qui a fait la réelle force de la reine Isabelle ; dans le cas même ou Ferdinand VII n’eût point fait cet pragmatique, il est plus que douteux qu’en 1833 l’Espagne eût accepté pour roi le chef du parti apostolique. Il est donc impolitique, si peu d’années après 1833, de toucher au préambule d’une constitution qui place la volonté nationale non pas au-dessus, mais tout à côté de la monarchie, pour constater son origine populaire, sa véritable légitimité ; il est impolitique d’alarmer, à quelque degré que ce soit, l’opinion publique, au sujet d’un rapprochement entre la reine constitutionnelle et le prince exclu du trône, non pas tant par le testament de son frère que par les invincibles répugnances de la nation. Il nous semble que sur ce dernier point sept ans de guerre civile devraient suffire pour former toutes les convictions. Vers le milieu de 1837, don Carlos parvint, avec son armée, jusqu’aux portes de la capitale. Ouvert de toutes parts, Madrid était sans troupes ; sur les hauteurs qui avoisinent les faubourgs, on pouvait voir les bandes de Biscaye et de Navarre. À un moment si critique, il ne