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l’audacieuse entreprise de lutter contre l’impulsion commune qui paraissait irrésistible. Un jour, Diogène entrait au théâtre quand le peuple en sortait ; on s’étonnait de sa conduite, et il répondit « qu’il ne faisait là que ce qu’il avait fait toute sa vie. » Il allait contre la foule. Or, parfois ces réactions courageuses ne tentent pas moins l’ambition des gens d’esprit que celle des grands caractères.

Rivarol a revendiqué l’honneur d’avoir été, dans la presse, le premier adversaire de la révolution. « On sait en France, a-t-il écrit quelque part, que j’ai attrapé l’assemblée constituante sur le fin du mois de juin 1789, près d’un an avant tous ceux que ses excès ont convertis, près d’un an avant M. Burke, comme il l’a reconnu lui-même dans une lettre imprimée à Paris en 1791. » En effet, dans le Journal politique et national, Rivarol se fit l’historien des évènemens de la révolution à mesure qu’ils s’accomplissaient. Les articles réimprimés de Rivarol forment un volume qui se termine par le récit des journées des 5 et 6 octobre. Le style de Rivarol est clair, rapide, véhément. C’est avec passion que l’historien journaliste caractérise les faits et les hommes ; il met sous les yeux de Paris le tableau quotidien de ses actes et de ses excès. Il prend la capitale à partie ; il lui dit qu’elle a agi contre ses intérêts en adoptant des formes républicaines, qu’elle a été aussi ingrate qu’impolitique en écrasant cette autorité royale à qui elle doit et ses embellissemens et son accroissement prodigieux. Voici comment Rivarol peint le Palais-Royal de 1789 : « La postérité demandera peut-être ce que fut ce Palais-Royal dont nous parlons si souvent, et qui entretient aujourd’hui des communications si intimes et si sanglantes avec la place de Grève. Nous dirons en peu de mots que le Palais-Royal fut le berceau du despotisme sous Richelieu, le foyer de la débauche sous la régence, et que, depuis cette époque, tour à tour agioteur et politique, il est devenu comme la capitale Paris. Dans une ville corrompue, ce jardin s’est distingué par la corruption. Telle a été son influence dans la révolution actuelle, que si on eût fermé ses grilles, surveillé ses cafés, interdit ses clubs, tout aurait pris une autre tournure. En ce moment, ses galeries sont des chambres ardentes, où se prononcent des sentences de mort, et ses arcades, où l’on étale les têtes des proscrits, sont les gémonies de la capitale. La liberté, si elle est le fruit de la révolution, ne pouvait avoir de berceau plus impur. » Violent contre les passions révolutionnaires, Rivarol jugeait avec sévérité les fautes de la cour et les longs excès du gouvernement monarchique. Il s’abandonnait à toute l’indépendance de sa verve, et c’est de la meilleure foi du monde qu’il écrivait