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primaire. Le rapprochement de ces listes dirait tout ; il ne resterait plus qu’à dresser procès-verbal des contraventions.

C’est dans la répression de ces délits que la juridiction des prud’hommes exercerait une salutaire influence. Les différends auxquels peut donner lieu le travail des manufactures entre les enfans et les ouvriers, entre les parens des enfans et les chefs de fabrique, seraient ainsi aplanis sur l’heure, et ne franchiraient pas, dans la plupart des cas, l’enceinte du bureau de conciliation. Si la procédure devait monter jusqu’au bureau général, ils y seraient du moins jugés sommairement, sans frais et sans appel. En prenant les querelles à leur origine, on ne laisserait pas aux parties le temps de les envenimer. Faute d’une institution de ce genre, l’industrie parisienne reste et se meut dans l’anarchie. A Lyon, à Rouen, à Lille, à Mulhouse, partout, en un mot, où les conseils de prud’hommes ont été institués, ils ne rendent que la moitié des services qu’ils pourraient rendre, tant qu’on ne les fait pas intervenir dans les mesures de protection que réclame le travail des enfans.

On le voit, la loi du 22 mars n’est pas observée à Paris, et ne peut pas l’être. Pour atteindre le but que le législateur s’est proposé, il ne faudra rien moins qu’une refonte complète de l’institution ; mais ce cadre une fois rempli, en supposant qu’il le soit, le gouvernement aura-t-il le droit de se reposer dans la contemplation de son œuvre ? N’y a-t-il de travail oppressif et énervant que celui des manufactures ? et l’ignorance, ainsi que l’immoralité, sont-elles l’apanage exclusif des enfans admis dans les grands ateliers ?

L’industrie parcellaire domine en France ; l’industrie agglomérée n’y est encore qu’une exception. On peut considérer comme des privilèges malgré la rude corvée qui pèse sur eux, les enfans que la manufacture admet à l’aumône de ses salaires. Une loi qui ne va pas au-delà de cette classe d’ouvriers est donc par cela même très limitée dans ses effets. Le plus grand nombre des enfans, dès que les parens se fatiguent de les nourrir oisifs ou qu’ils veulent tirer parti de leurs services, trouvent un asile dans le grenier du petit fabricant, dans l’échoppe de l’artisan ou dans la boutique du marchand en détail : à quelles conditions y sont-ils reçus ? Si le jeune ouvrier des fabriques est une espèce de paria que l’on enrégimente, du moins la discipline à laquelle il se voit soumis n’a rien de particulièrement arbitraire, et c’est quelque chose que d’avoir une règle, si dure qu’elle soit. Ajoutez qu’il n’appartient au manufacturier, qui le paie, que pour un certain nombre d’heures ; la journée finie, il reprend une liberté dont ses parens lui abandonnent trop souvent la direction. L’apprenti, au contraire,