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Reperiit, invenit ! parce que Cicéron n’arrivait jamais au sénat sans assurer qu’il avait trouvé et découvert une conspiration nouvelle. Le titre de piantaleoni du XIXe siècle pourrait être justement décerné aujourd’hui à une autre nation qui plante le lion sur les îles de toutes les mers avec encore plus de constance que les anciens marchands de Venise.

Les quatre rôles à caractère étaient joués en 1750 par des acteurs d’un grand talent, si on en croit Gozzi qui les aimait passionnément. Le Brighella, nommé Zanoni, et le Truffaldin, Sacchi, directeur de la troupe, étaient surtout des improvisateurs délicieux. Ce genre prêtait singulièrement à la satire, puisque les quatre masques jouissaient du privilège de faire rire le parterre aux dépens de qui ils voulaient. C’est cet art déréglé, mais piquant, animé et original, que Goldoni résolut d’anéantir au nom de Molière, qui avait emprunté à l’Italie les Sbrigani et les Scapins, dont le théâtre français s’était fort bien accommodé. Goldoni voulut remplacer la comédie italienne par un genre froid et dégénéré auquel Gozzi donnait le nom de flebile, ce qui veut dire à volonté plaintifou déplorable. De peur de heurter trop brusquement le goût du moment, Goldoni donna d’abord sa petite pièce de l’Enfant d’Arlequin, qui eut du succès, même en France. C’était une manière de s’introduire en traître dans le camp ennemi. A peine eut-il assuré son crédit sur le public de Venise qu’il abandonna la troupe de Sacchi pour celle du théâtre Sant’ Angelo, où l’on jouait des traductions. Il prit l’engagement de faire représenter seize pièces nouvelles dans un hiver, et il tint parole en imitant à la hâte tout ce qui paraissait en France. Il passa du genre bouffon à la comédie prétentieuse de Destouches, puis au drame larmoyant, qui devenait à la mode à Paris, et il crut avoir sauvé et régénéré le théâtre. L’abbé Chiari, écrivain ampoulé, traduisait aussi de son côté les pièces françaises en phéhus ultramontain, si bien qu’en peu de temps la comédie nationale disparut, et que la troupe de Sacchi sortit de Venise pour aller chercher fortune en Portugal.

L’académie des Granelleschi ne savait trop que penser de cette révolution subite. Trompée par le titre de régulière qu’on donnait à la comédie nouvelle, et par l’autorité du nom de Molière dont on abusait adroitement, elle hésitait à se prononcer. Goldoni écrivait fort mal, mais ne fallait-il pas excuser le vice de la forme en faveur du fond ? En résultat, le théâtre avait-il perdu ou gagné ? Telles furent les questions qui s’agitèrent dans le sein de l’académie. Gozzi se promenait dans un coin, la tête baissée, les bras derrière le dos, comptant les dalles d’un air mélancolique, comme le lui reprocha Chiari, dans ses prologues.