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On trouvait beaucoup de raisons favorables au genre nouveau ; Gaspard Gozzi lui-même se laissait égarer par les grands mots de règles classiques. Daniel Farsetti seul plaidait pour la comédie nationale Charles Gozzi prit la parole.

Signori.miei,.dit-il avec son sourire plein de malice, j’avais pensé en demandant à entrer dans votre académie, que le nom de Granelleschi était un badinage ; j’étais loin de soupçonner que ce fût une réelle définition de nos rares mérites ; mais je vois que nous sommes bien nommés. Ganellesco je suis à jamais si vous approuvez cette comédie à la mode que les vents glacés du nord ont apportée ici un jour de bise et de neige. Il est beau à vous de vous apercevoir que le style de ces pièces est une boucherie de mots où la grammaire et le bon goût sont mis à la torture. Quant au fond, avorton bâtard et larmoyant, qui a volé au grand Molière ses papiers de famille, regardez-le du haut du campanile de Saint-Marc, et les plus myopes le reconnaîtront pour une imposture littéraire. Ces gens-là font de l’italien un mélange si barbare que je me crois à Babylone. Apprêtez-vous à parler leur langage si vous voulez encore être compris. Ce que j’admire par dessus tout, c’est de voir confondre dans la même catégorie Goldoni et Chiari, absolument comme si on ne savait pas distinguer le dôme de Saint-George-Majeur d’une marmite. Les comédies de Goldoni, signori miei, sont un grand amas de bonnes scènes et de matériaux utiles qui pourrait servir de manuel comique, à d’autres talens plus cultivés et plus éveillés que le sien Le manque de culture et la nécessité de produire servilement trop d’ouvrages sont les bourreaux de ce bon esprit italien que j’aime en le plaignant. Ses rapines, ses plagiats et ses imitations, tout blâmables qu’ils sont, révèlent un génie comique mal employé. Mais Chiari, ce pédant sentencieux plus obscur qu’un astrologue, qui délaie les pièces françaises en les assaisonnant d’immoralités ! l’appeler le réformateur du théâtre, c’est comme si on disait, en voyant répandre du vin et remplir les bouteilles avec l’eau des lagunes : voici une cave heureusement réformée. Les potions goldoniennes et chiaristes ont endormi la jeunesse spirituelle de Venise ; le sommeil vous gagne ; vous, étendez vos membres engourdis, et dans votre somnolence vous murmurez en bâillant : « Il me semble que la comédie est devenue régulière. » Il n’y a rien au contraire de plus irrégulier pour des Italiens qu’un genre anti-national, mêlé de trivialités et de barbarismes. Laissons passer quelque temps, et ensuite c’est à nous qu’il appartiendra d’appliquer au public les sinapismes qui secoueront sa léthargie.