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pas auront la tête tranchée. Tels sont les termes du traité, on est libre de n’en point courir les risques. L’orgueilleuse jeune fille espère que ces conditions effrayantes, écarteront les amoureux. Cependant plusieurs princes ont déjà péri, et ce matin même on va décapiter le fils du roi de Samarcande, qui n’a pas pu deviner les énigmes.

En effet, une marche funèbre résonne au loin. Le bourreau dépose sur la porte de la ville la tête du malheureux prince : « Si j’étais le père de cette fille barbare, s’écrie Calaf indigné, je la ferais mourir dans les flammes. » Aussitôt arrive le gouverneur du jeune homme décapité ; il jette par terre le fatal portrait de Turandot, le foule aux pieds, et sort en pleurant. Calaf ramasse le portrait. Les bonnes gens chez qui il loge le supplient de ne pas regarder cette peinture dangereuse ; mais il se moque de leur frayeur. Il regarde le portrait, et tombe dans une rêverie profonde, frappé au cœur subitement. Il parle à l’image de Turandot, et lui demande s’il est vrai qu’un visage si beau cache une ame cruelle ; puis il s’écrie qu’il veut tenter la fortune, et répond aux larmes de son hôtesse par ce raisonnement d’amoureux : « Si je ne réussis pas, je trouverai un terme à ma vie misérable, et j’aurai du moins contemplé avant de mourir la beauté la plus rare qui soit au monde. » Calaf n’écoute plus rien, et marche tout droit au palais impérial.

Altoun-Kan est le plus bénin des empereurs. Il pleure de tout son cœur en faisant couper la tête d’une foule de charmans princes auxquels il aimerait bien mieux donner sa fille ; il se lamente avec son secrétaire Pantalon. Calaf est introduit, et on tache de le faire renoncer à son projet ; mais l’amoureux inébranlable répond :

Morte pretendo, o Turandotte in sposa.

« Je prétends mourir ou épouser Turandot. » On assemble donc le divan. La princesse paraît au milieu de ses femmes et voilée : « Voici la première fois, dit-elle à ses confidentes, que je sens de la pitié pour un homme. » La suivante Adelma éprouve plus que de la pitié, car elle s’enflamme tout à coup pour Calaf. L’orgueilleuse Turandot commande au prétendant de s’apprêter à mourir ; puis elle prend le tuono academico pour débiter sa première énigme, que Calaf devine tout de suite, à la grande stupéfaction du divan. La seconde énigme, celle de l’arbre dont les feuilles sont noires d’un côté et blanches de l’autre, n’était pas encore connue du temps d’Altoun-Kan ; cependant Calaf devine que cet arbre est l’année avec ses jours et ses nuits. « Il a touché le but, dit Pantalon, qui ne comprend rien aux énigmes. – Du