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premier coup et dans le milieu, ajoute Tartaglia, qui n’y voit que du feu. – Princesse, dit Adelma, cet homme est votre maître ; il sera votre époux. — Tais-toi, répond Turandot indignée ; que le monde s’écroule plutôt. Je déteste cet homme, et je mourrai avant d’être à lui. »

Cette exclamation fournit à Calaf l’occasion de montrer son amour et sa grandeur d’ame en assurant qu’il n’épousera jamais la princesse par force ; mais le bon Altoun-Kan déclare qu’il faudra bien qu’on se marie, et il engage même sa fille à prendre ce parti sans aller plus loin : « Sposa sua fia la morte ! » répond Turandot : que son épouse soit la mort ! » Elle se lève, et, d’une voix plus forte qu’auparavant, débite la troisième et dernière énigme :

« Dis-moi quelle est la terrible bête féroce, à quatre pieds et ailée, bonne pour qui l’aime, et altière avec ses ennemis qui a fait trembler le monde, et qui vit encore orgueilleuse et triomphante ? Ses flancs robustes reposent solidement sur la mer inconstante ; de là, elle embrasse avec sa poitrine et ses serres cruelles un immense espace. Les ailes de ce nouveau phénix ne se lassent jamais.de couvrir de leur ombre la terre et les mers. »

Après avoir prononcé le dernier vers, Turandot soulève le voile qui cachait son visage et fixe ses yeux sur Calaf. Ce coup de théâtre réussit. Le pauvre prince, étourdi par la beauté de l’artificieuse jeune fille, reste confondu et sans voix. Profitons du moment de trouble de Calaf pour remarquer la flatterie que l’énigme adresse à la seigneurie de Venise. Turandot aurait dû retourner toute la dernière moitié de son discours, et dire : «  Elle a fait jadis trembler le monde ; mais, hélas ! aujourd’hui elle n’est plus ni orgueilleuse, ni triomphante, et les ailes de l’ancien phénix, fatiguées et repliées tristement, ne couvrent plus de leur ombre la terre ni les mers. » Calaf se remet enfin de son étourdissement, et, malgré l’inexactitude de la proposition, il devine que la bête féroce est le lion juste et terrible de l’Adriatique. Tout le divan bat des mains ; l’empereur embrasse son gendre, et la princesse tombe en faiblesse au milieu de ses femmes. En vain Turandot demande une nouvelle épreuve ; le débonnaire Altoun se met en fureur et la menace de sa malédiction. Alors Calaf s’interpose ; il supplie l’empereur d’avoir pitié du chagrin de sa fille ; il ne peut supporter l’idée d’avoir fait couler les larmes de Turandot, et renoncera plutôt à elle, et même à la vie, que de lui déplaire. On se décide à un accommodement, A son tour, Calaf proposera une énigme à la princesse, et lui donnera jusqu’au lendemain pour la deviner ; mais si elle ne trouve pas la réponse à la prochaine