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saison des pèlerinages ! bon Dieu ! quelle quantité de lettres ! Milan, Turin, Gênes, Parme, Mantoue, Bologne ! ahimé ! c’étaient des récits, des chagrins, des souvenirs, des demandes d’arbitrages, des tendresses. Les lettres exercent une comédienne.

« Celui qui s’imagine qu’on peut mener des actrices sans faire l’amour est dans l’erreur. On le fait ou on feint de le faire. Ces pauvres filles sont pétries de pâté d’amour. L’amour est leur premier guide aussitôt qu’elles peuvent s’aider à marcher en s’appuyant de la main. A six ans elles en parlent et le connaissent tant bien que mal. L’austérité de la compagnie existait… en paroles. La jeune comédienne est extrême en tout : amitié est un mot fabuleux ; nous lui substituons l’amour et point de nuances. Une comédienne dit bien à une autre qu’elle a de l’amitié pour elle, mais quand elle veut la tromper ou lui jouer un mauvais tour. Du moins, dans notre compagnie, on faisait l’amour décemment, sans scandale. Jamais je n’ai vu nos actrices dépouiller les jeunes gens, se vendre à l’enchère, ni surtout, ce qui a de graves conséquences, mal parler ou ruiner celles qui se conduisaient bien. Jamais une basse vénalité n’a été remarquée ; on se serait fait bannir de la troupe. Après cela, on était amoureuse par choix, discrètement, en suivant le bon exemple qu’on avait reçu de ses père et mère, quand on en avait. Toutes les femmes disaient : « Quand j’aurai un mari, je quitterai la scène ; » mais on se mariait à condition de ne point la quitter, car celle qui a vécu heureuse sur la scène ne peut plus vivre ailleurs. Nous sommes passionnés à Venise, et la passion respire dans les coulisses ; elle passe sa tête par le trou du souffleur, on l’avale avec la fumée des quinquets. Hors des planches le néant.

« Ces pauvres jeunes filles ! que d’esprit et de traits comiques dans leurs amours ! Quelquefois elles m’attaquaient et me perçaient d’œillades, car j’étais garçon, je pouvais prendre femme, et on serait restée sur les planches. Quelquefois j’ai su leurs colères, leurs querelles, leurs jalousies, et même leurs pleurs à propos de moi ; elles croyaient m’aimer parce que j’étais le signor poetà et célibataire, en mot une planète adorable dont une invention scénique pouvait encore les porter au triomphe. Sous ce rapport je faisais de mon mieux, leur gloire était la mienne ; quant à l’hyménée, j’ai toujours mis fin aux chimères en déclarant mon parti pris de rester garçon ; mais bah ! on recommençait au bout de huit jours.

A chaque rentrée en ville, après une tournée, je les questionnais d’un air indifférent. On ne voulait rien avouer. On avait tant pensé a moi ! ô Dio ! et enfin les confessions arrivaient peu à peu, et on avait