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à l’église peut se ramener à un double motif, à un double élément, à une double forme. Lord John Manners aime dans l’église la gardienne féconde des nobles et saintes vertus que le sentiment religieux alimente, et qui vont toutes se fondre dans la charité ; il aime l’église pour les bienfaits qu’elle a répandus sur son pays, comme par reconnaissance patriotique, avec une sorte d’orgueil national. Cette dernière nuance, qui domine peut-être les sentimens de lord John Manners, jette sur son culte pour l’église une couleur historique ; lord John Manners porte volontiers ses yeux sur le passé de l’église. Je vois là, pour ma part, un sentiment intelligent, élevé, légitimé. Il me semble naturel que le patriotisme sache franchir ainsi les limites du présent pour aller rechercher ses mobiles jusque dans le passé. Une nationalité se forme, se développe sous l’action d’un petit nombre d’élémens qui, par cela même qu’ils ont été essentiels à son existence, doivent durer autant qu’elle. L’histoire dit quels ont été ces agens, et quelle part chacun a prise à I’œuvre admirable d’où sortent l’unité, le caractère et la vie d’une nation. Le patriotisme qui ne sait pas les découvrir et les comprendre tous, les respecter et les aimer tous, n’est qu’un patriotisme incomplet et faux. Lord John Manners n’a pas à se reprocher cet oubli du passé dans son dévouement à l’église d’Angleterre. Ce n’est même que dans le passé qu’il en trouve le type le plus parfait, le plus pur, celui qu’il voudrait voir reparaître aujourd’hui dans son ancien éclat. Cette piété envers le passé suggère à lord John Manners un langage qui peut paraître étrange à ceux qui s’attendraient à rencontrer en Angleterre la rigidité protestante dans son intolérance primitive. Il est bon d’en donner une idée pour montrer la direction que prennent les idées religieuses dans une partie considérable de l’Angleterre.

Par exemple, lord John Manners et ses amis sont loin d’adopter le jugement que les protestans portent sur le moyen-âge religieux ; ils voient dans cette époque les beaux temps du christianisme. Pour eux, la décadence et la corruption de la foi suivent la réforme d’Henri VIII, au lieu de la précéder. « Ces trois siècles n’ont-ils pas assez montré, dit lord John Manners, les tristes effets de la rapine royale ? Ne souffrons-nous pas encore du péché de celui qui osa accomplir une confiscation impie, et, méprisant la vengeance inévitable de Dieu, ne craignit pas de jeter à la bande rapace de ses courtisans les richesses dont les siècles croyans avaient ceint le front de la fiancée du ciel ? Ah ! ce ne fut pas la charité qui lui inspira de porter une main tyrannique sur une proie sans défense ! » Si lord John Manners invoque