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pendant la paix, place d’armes formidable pendant la guerre. Ce projet n’a pas encore, il est vrai, l’appui du chancelier de l’échiquier, qui reproche au devis de s’élever à deux millions sterling ; mais cette résistance peut s’affaiblir, et elle ne nous dispense pas d’aviser à ce qui reste à faire à Calais et à Boulogne pour que le contraste ne soit pas trop choquant.

J’ai quitté M. William Cubitt, qui est pourtant un des hommes de l’Angleterre avec lesquels il y a le plus à apprendre, pour conduire le lecteur dans les casernes et sur le port de Douvres. Je reviens au chemin de fer. Il s’embranche à angle droit sur la ligne de Brighton, à 33 kilomètres de Londres, et le parcours total de cette ville à Douvres est, de 140 kilomètres : c’est 28 de plus que par la route de terre, mais les montagnes du pays de Kent s’opposaient à un tracé direct, et il fallait en tourner le massif.

La distance de Douvres à Folkstone est de 10 kilomètres. La seule pensée de lutter avec les obstacles accumulés sur ce court espace honore le génie anglais, et la victoire qu’il y a remportées est une de celles qui témoignent le mieux de cette hardiesse opiniâtre et réfléchie à laquelle ses entreprises doivent si souvent leur caractère de grandeur.

Les montagnes du comté de Kent et celles du Boulonais semblent avoir constitué, dans un autre âge, une chaîne continue ; elles ont du moins été formées par le même soulèvement ; les arêtes des unes et des autres sont placées sur un alignement continu ; la nature et la stratification de leurs roches sont identiques : on dirait que, dans une des convulsions de la nature qui ont donné sa forme actuelle à la surface du globe, un brusque affaissement ait séparé l’Angleterre du continent, et que le cap Gris-Nez de ce côté de la Manche, les falaises de Douvres et de Fokstone de l’autre, soient, avec leurs escarpes verticales, les points extrêmes de cette rupture. C’est au travers de ce bouleversement que M. W. Cubitt a ouvert un chemin de fer. Ici la lame déferle sous une longue terrasse en charpente, qui se défend contre les attaques de la mer par le peu de prise que leur donne la légèreté de sa construction ; là, le chemin s’enfonce dans le contrefort de la montagne et la traverse par des voûtes, dont l’une a 2 kilomètres de longueur ; plus loin, il passe dans des tranchées prodigieuses, ou domine des roches couvertes de mousse et battues par les vents, où pourtant des familles de troglodytes se sont réfugiées dans des huttes de terre et de varechs ; là enfin, un fourneau de 10,000 kilogrammes de poudre a, d’un seul coup, renversé dans la