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crime arrêtait leur essor… On voit combien l’auteur reste partout fidèle à la pensée chrétienne. Eh bien ! cependant, les désastres qui vont suivre, juste châtiment d’une action impie, le poète essaiera de leur donner pour moteurs les plus futiles et les plus vieux ressorts de la mythologie classique. Les flots du Cap dont la fureur va briser le puissant galion, ce ne sera point la justice divine qui les soulèvera contre un grand coupable impuni ; c’est le vieux Protée, amoureux des charmes de Lianor et dédaigné par elle, qui excitera contre l’ingrate beauté la colère de Neptune, c’est la jalousie de Thétis, de Doris et d’Amphitrite, qui forcera l’imbécile Eole à déchaîner les vents contre le vaisseau que commande Sepulveda, et qui porte sa famille, ses amis, ses serviteurs et ses richesses. Dans le tableau de la tempête et des divers incidens de ce mémorable naufrage, tout l’avantage d’un récit clair, concis, pittoresque, appartient à Diogo do Couto. En général, les historiens et les voyageurs portugais excellent dans les relations de mer, simples, vraies, colorées, terribles. Il est pourtant juste de dire qu’en prenant soin, comme nous allons faire, de dégager cette partie de l’œuvre de Corte Real de l’échafaudage mythologique qui la dépare, on peut tirer du poème une peinture inférieure, il est vrai, à celle de Diogo do Couto, mais vive encore et frappante de mouvement et de vérité.

En approchant des funestes parages du cap de Bonne-Espérance, le pilote, est assailli par une vision menaçante. Il observe le ciel étoilé ; il y lit des présages effrayans. La lune est sanglante ; des comètes jettent des lueurs funèbres. Ces signes plongent le marin dans la terreur ; un froid mortel parcourt ses veines et lui donne les teintes d’un cadavre. Au retour du soleil, les tristes oiseaux de nuit continuent de voler, en cercle au-dessus du navire ils s’attaquent avec leurs serres aiguës et tachent les blanches voiles d’une pluie de sang… Le vaisseau s’apprêtait à doubler le cap, quand les vents déchaînés se précipitent sur la mer et la bouleversent. Le ciel se couvre de nuées épaisses et lourdes ; les vagues grossies et enflées se soulèvent. Le navire commence à être en péril : ses flancs gémissent sourdement. Aussitôt le sifflet aigu retentit ; la voix du maître s’élève ; les matelots accourent. Les vents furieux attaquent le vaisseau par l’arrière, par l’avant, par les côtes ; leur violence colle les voiles aux mâts : le navire recule. Le ciel s’ouvre en mille endroits, et laisse échapper les éclairs et la foudre ; une grêle de pierres tombe au milieu d’un torrent d’eau. Toutes les voiles se déchirent au moment qu’on s’efforce de les serrer ; les marins courageux sentent la sueur couvrir leurs membres.