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où ce qui n’avait été à nos lèvre que le sourire aimable et flottant de la jeunesse se creuse sensiblement et devient une ride : oh ! du moins que ce ne soit jamais la ride et le rire du satyre !

N’anticipons point sur les temps et jouissons avec Parny de ces premières et indulgentes années. A ses débuts donc, on le trouve dans toute la vivacité des goûts et dés modes d’alors, très imbu de cette fin de Louis XV et vivant comme vivaient la plupart des jeunes gentilshommes de Versailles, contemporains ou à peu près de cette première jeunesse du comte d’Artois. Si Parny n’avait continué que sur ce ton, écrivant vers et prose mélangés comme dans ses lettres de 1773 et de 1775 à son frère et à Bertin, il aurait été plus naturel encore que Dorat et Pezay, mais il ne se serait guère distingué des Boufflers et des Bonnard ; il n’aurait point mérité la louange que lui décernent unanimement tous les critiques de l’époque, d’avoir ramené, introduit l’émotion simple et vraie dans la poésie amoureuse. Écoutons Ginguené, par exemple :

L’esprit et l’art avaient proscrit le sentiment ;
L’ironique jargon, l’indécent persiflage
Prenaient, en grimaçant, le nom de bel usage ;
L’Apollon des boudoirs[1], d’un maintien cavalier,
Abordait chaque belle en style minaudier,
Et, tout fier d’un encens brûlé pour nos actrices,
Infectait l’Hélicon du parfum des coulisses.
Ce fut à qui suivrait ce bon ton prétendu :
En écrivant chacun trembla d’être entendu ;
Nos rimeurs à I’envi parlaient en logogriphes,
Nos Saphos se pâmaient à ces hiéroglyphes ;
Nos plats journaux disaient : C’est le ton de la Cour !
Tu vins, tu fis parler le véritable amour…


Ainsi Guiguené dit presque de Parny, comme on a dit de Malherbe, qu’il fit évènement ; et encore :

Le bel esprit n’est plus ; son empire est fini :
Qui donc l’a détrôné ? la Nature et Parny.


Et ce n’est pas seulement Ginguené, c’est-à-dire un ancien camarade de collége qui s’exprime ainsi, notez-le bien, c’est plus ou moins tout le monde, c’est l’Année littéraire[2], c’est Palissot, c’est Fontanes, c’est Garat, et Garat bien avant le discours académique par lequel il reçut Parny, mais dans ses jugemens tout-à-fait libres, et des plus

  1. Dorat.
  2. Année 1778, t. II, p. 261.