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en France[1]. Quoi qu’il en soit, ce fut pendant cette absence qu’on maria Mlle T… à un médecin français arrivé depuis peu dans la colonie. Mais, avant la célébration de ce mariage, et pendant l’éloignement de Parny, Eléonore, nous assure-t-on (et ceci devient un supplément tout-à-fait inédit à l’Eléonoriana), eut une fille, fruit clandestin de ces amours si célèbres. Cette enfant, dont la naissance a été entourée de mystère, et dont le sort a pu rester ignoré de Parny, fut enlevée à sa mère par les intéressés, et secrètement confiée aux soins d’une dame Germaine, mulâtresse, et mère elle-même de plusieurs enfans. Cette dame vint s’établir à Saint-Denis ; elle eut pour sa fille adoptive des soins vraiment maternels, et se conduisit toujours de manière à passer aux yeux de tous pour la véritable mère. « J’ai particulièrement connu nous écrivait un de nos amis créoles, la personne qu’on dit être la fille de Parny : déjà d’un certain âge quand je la vis, elle a dû être fort jolie, sinon belle ; de taille moyenne, blonde avec des yeux bleus, elle passe pour avoir eu quelque ressemblance avec Éléonore, dans la mémoire, peut-être complaisante, de quelques anciens du pays.

« La fille présumée de Parny, vivement sollicitée par moi à l’endroit de ses souvenirs d’enfance, m’a dit, ainsi qu’à plusieurs, se rappeler, que dans son plus jeune âge une dame belle et bien mise, étrangère aux personnes de la maison, venait quelquefois la voir, et la comblait alors de petits présens et de caresses. De plus, elle a ajouté que la dame Germaine, quelque temps avant sa mort, lui avait confessé n’être pas l’auteur de ses jours, mais qu’ayant eu pour elle les soins d’une mère, elle lui demandait, avec le secret de cet aveu, l’amitié et les sentimens d’une sœur pour ses enfans, en retour de ce qu’elle avait eu pour elle de tendresse et d’affection. »

Après ce tribut largement payé au chapitre des informations personnelles, je me hâte de revenir à l’élégie ; notez bien que, chez Parny, elle serre toujours d’assez près la réalité pour qu’on puisse passer, sans trop d’indiscrétion, de l’une à l’autre. De retour en France, après ces trois ou quatre années, comme il les appelle, d’inconstance et

  1. J’incline tout-à-fait pour cette dernière supposition, et je crois que ce voyage obligé de Parny, qui amena la rupture, fut tout simplement son retour en France en 1775 ou 1776. Il n’apprit sans doute que plus tard, et peut-être à Paris même, le changement de destinée de celle qu’il avait quittée ; en effet, dans les premières éditions de ses poésies (1778-1779), l’on ne trouve rien ou presque rien encore de ce qui forme le quatrième livre des élégies, c’est-à-dire celui qui vient après le mariage et l’infidélité consommée d’Éléonore. Ce ne dut être que vers 1779-1781 que ce quatrième livre fut composé pour être définitivement clos et complété dans l’édition de 1784. Nous y reviendrons tout à l’heure.