Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/831

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’erreurs, on le voit, en 1777, publier ou laisser courir son Epître aux Insurgens de Boston, qui rend à merveille les engouemens républicains de cette galante jeunesse. On ne risquait plus alors d’être mis à la Bastille pour de telles échappées ; on raconte seulement que ces vers :

Et vous, peuple injuste et mutin,
Sans pape, sans rois et sans reines,
Vous danseriez au bruit des chaînes
Qui pèsent sur le genre humain !


que ces vers, disons-nous, ou du moins ces mots sans reines, arrachèrent une larme à la noble Marie-Antoinette, jusque-là si peu éprouvée ; ce fut toute la punition du poète. L’année suivante, en 1778, paraissaient les Poésies érotiques, petit in-8o de 64 pages, ne contenant pas encore les plus belles et les plus douloureuses élégies, celles qui formeront plus tard le livre quatrième ; mais le petit volume est déjà assez rempli d’Éléonore pour que ce nom domine ceux des Aglaé et des Euphrosine, qui s’y trouvent mêlés. Il est à croire que les succès de ses vers éclaira l’auteur lui-même ; l’intérêt que le public se mit aussitôt à prendre à Éléonore, et que vinrent entretenir d’autres pièces à elle adressées dans les Opuscules poétiques de l’année suivante (1779), acheva de décider le choix du poète-amant, et lui Indiqua le parti qu’il lui restait à tirer de sa passion : dans les éditions qui succédèrent, les Aglaé, les Euphrosine, furent sacrifiées ; l’inconstance devint un crime, tandis qu’auparavant on ne voyait que l’ennui de criminel ; en un mot, Parny s’attacha à mettre de l’unité dans ses élégies, et à pousser au roman plus qu’il n’avait songé d’abord. Ce fut alors seulement qu’il distribua ses pièces avec gradation et selon l’ordre où elles se présentent aujourd’hui : dans le premier livre, la jouissance pure et simple ; dans le second, une fausse alarme d’infidélité ; dans le troisième, le bonheur ressaisi, d’autant plus vif et plus doux ; dans le quatrième, l’infidélité trop réelle et le désespoir amer qu’elle entraîne. Il ne composa qu’après coup ce quatrième livre dans lequel il sut combiner les sentimens vrais qu’il retrouvait au dedans de lui avec quelques circonstances peut-être fictives ou du moins antérieures[1]. Cette portion

  1. Il se rencontre ici plus d’une petite difficulté de chronologie qu’il est presque pédantesque de venir soulever en matière si légère. Voyons pourtant. Parny dit qu’il revint dans Paris après quatre ans d’inconstance et d’erreurs ; il dit cela positivement dans une lettre de 1777 adressée à M. de P. du S. Parti de France à la fin de mai 1773, ces quatre années le conduiraient à 1777 comme date du retour ; mais il paraît qu’il était revenu auparavant, vers la fin de 1775 ou au commencemende de 1776. Ce qui est certain, c’est que dans une lettre à Bertin, datée de Bourbon janvier 1775, il parle de son retour comme prochain ; et de plus une lettre de Bertin à lui (en supposait la date exacte) nous le montre revenu en France et plus que revenu en juin 1776, pleinement rendu aux plaisirs de la confrérie, et n’ayant pas du tout l’air d’un amant désolé. Il est à supposer que Parny n’apprit que plus tard le mariage d’Eléonore, résultat de son absence. Serait-il donc, par hasard, retourné à Bourbon vers 1778-1779, dans le temps où paraissaient à Paris les premières éditions de ses poésies ? Ce voyage, dont je ne vois d’ailleurs aucune trace, concilierait tout. Quoi qu’il en soit, dans les belles élégies qu’il ajouta durant ces années suivantes, et qui sont celles du quatrième livre, Parny fit comme s’il était retourné en effet à Bourbon, et comme s’il avait appris son infortune sur les lieux mêmes. N’était-ce là, de sa part, qu’une pure combinaison poétique ? Avec ces hypocrites de poètes, on n’est jamais sûr de rien. Dans tous les cas, l’effet littéraire fut à merveille.